Une fois restauré, le garçon décida que ses pas le mèneraient à Mariana. Combien de fois n'avait-il pas entendu raconter que là-bas, tous les joueurs de Corse et d'Italie venaient jouer leur fortune? On disait encore que le diable, sous l'aspect d'un élégant jeune homme, y était le maître du jeu et que nulle victime, attirée là par l'appât du gain, ne savait lui résister. Ainsi donc, le diable achetait son âme et chaque jour, il trouvait une nouvelle proie.
Fort de son sac et de son bâton, Francescu se dirigeait d'un pas sûr en direction de Mariana. Arrivé aux portes de la ville, Francescu commanda : « Cent mille écus dans mon sac ! » et aussitôt les écus pesèrent de tout leur poids dans le sac. Le diable qui avait l'apparence d'un beau jeune homme n'avait pas tardé à repérer Francescu aux tables de jeu. Il lui proposa de jouer avec lui et, trois jours durant, ne cessa de gagner.
Au bout de trois jours, le diable pensa que son adversaire était sur le point d'être ruiné. Il lui proposa donc, s'il voulait recouvrer sa fortune perdue, d'aller violer la jeune fille qu'il lui désignerait. Ainsi achetait-il les âmes !
"Saute dans mon sac", s'écria Francescu. Et le diable se retrouva aussitôt prisonnier dans le sac magique. Alors Francescu ordonna à son bâton de frapper le sac sans relâche. Le diable finit par crier grâce et accepta de rendre la vie à tous les jeunes hommes qui, ruinés par ses soins, s'étaient donné la mort de désespoir. Enfin, Francescu donna à chacun d'entre eux une petite somme d'argent pour quitter la ville et aller gagner honnêtement sa vie. Sa mission accomplie, Francescu décida de rentrer au pays.
En chemin, il corrigea un certain docteur Brancaziu qui refusait de soigner un malheureux vieillard. Puis il arriva chez lui, dans le Niolu. Là, la famine qui l'avait jeté sur les routes avec ses frères continuait à sévir cruellement. Francescu ouvrit une auberge : grâce à son sac et son bâton, il put offrir deux repas par jour aux villageois, jusqu'à ce que l'abondance revînt. Alors il cessa ses largesses pour ne pas rendre son entourage paresseux. On ne peut dire que Francescu vécut heureux. Regrettant ses onze frères, il eut beau essayer de les faire rentrer dans son sac en les nommant un à un, il n'y recueillit que des os.
Francescu vécut longtemps. Lorsqu'il fut très vieux, la mort vint le trouver. Mais souhaitant revoir une dernière fois la bonne fée qui avait favorisé sa vie, il demanda à la mort de lui accorder un délai. Devant son refus obstiné, le vieux Francescu usa une dernière fois de son pouvoir :
« Saute dans mon sac », dit-il à la mort. Et celle-ci se trouva prisonnière dans le sac.
La reine des fées du lac de Crena lui apparut alors, toujours d'une égale beauté. «Tu as fait si bon usage du sac et du bâton, Francescu, dis-moi comment je puis te récompenser; je peux t'offrir la jeunesse, la richesse, le pouvoir, tout ce que tu désireras». Mais le vieux Francescu s'estimait rassasié de jours. Il demanda donc à la bonne fée que la Corse fût débarrassée à jamais des Sarrasins. Le vœu accordé, la fée disparut pour toujours.
Quant à Francescu, il prépara un bon feu pour réchauffer ses pauvres membres déjà froids et, libérant la mort, il jeta son sac et son bâton dans le feu, craignant qu'on n'en fit mauvais usage. Et le feu n'était pas encore éteint que la mort était venue faucher la vie du brave Francescu.