"On essaie d'attaquer l'élu que je suis" : Paul-Antoine Bertolozzi, le maire de Quasquara sort du silence
Une semaine déjà que l'affaire de la croix de Quasquara défraie la chronique. Comment cette polémique qui ne cesse de gonfler est-elle vécue par les habitants ?
La population n'en a pas souffert plus que cela dès lors qu'elle est très respectueuse. Les Quasquarais n'ont pas fait de vagues, préférant être en soutien. À la clé, deux camps, les défenseurs de la croix, la majorité, et les autres, minoritaires. Au-delà de la communauté villageoise, et plus largement des Corses qui partagent le point de vue du plus grand nombre, des témoignages nous sont également parvenus de beaucoup plus loin, par-delà les frontières. Le soutien que j'évoque s'exerce en direction de la croix elle-même quasiment en tant qu'entité physique. Aujourd'hui, c'est vers elle que l'on se tourne, vers ce calvaire cloué au pilori.
La vie de la commune se trouve-t-elle affectée par cette actualité qui dépasse, ainsi que vous l'avez décrit, les frontières ?
La commune est affectée, mais plutôt en bien, puisqu'elle n'était pas connue. On ne parvenait pas à placer un point GPS sur une carte, on ne savait pas où le village se nichait. À présent, la Corse, la France entière, l'Europe, et en dehors de cette dernière, le Québec, les États-Unis, s'intéressent à ce qui se passe dans notre village de 53 habitants, lui donnant une dimension assez extraordinaire, je l'admets. J'aurais néanmoins préféré que nous nous fassions connaître autrement de manière à ne pas avoir à évoquer cet ouvrage religieux ou à vivre une telle polémique. Le fait est que nous y sommes désormais plongés totalement.
"Jamais je n'aurais pensé que ce geste ouvrirait à une controverse d'une telle ampleur"
Depuis combien de temps cette croix est-elle érigée à l'emplacement qu'elle occupe à l'entrée du village ?
La croix a été fabriquée et implantée en 2022 sachant qu'il y avait sur la commune deux calvaires répertoriés au cadastre napoléonien, mais qui ont été détruits. J'ai remis en place le premier des deux, installé sur l'emplacement prévu pour accueillir les installations dédiées au tri sélectif. Afin de ne pas l'ériger à nouveau au même endroit, je l'ai déplacé et positionné là où il se trouve actuellement. Jamais je n'aurais pensé, alors, que ce geste ouvrirait à une controverse d'une telle ampleur. Une ampleur inouïe.
Celle-ci a éclaté à la faveur d'un désaccord émanant de l'un de vos administrés, une administrée en l'occurrence. En avez-vous parlé avec cette dernière ?
Il n'y a pas de dialogue possible.
Avez-vous, malgré tout, cherché à comprendre ses motivations ?
Le problème remonte à plusieurs années. À plus de dix ans en arrière lorsque cette concitoyenne a perdu les élections contre notre propre liste à l'époque. L'épisode de la croix est le énième incident d'une longue série ponctuée de divers soubresauts autour des cloches, du tableau d'affichage, des bals, du Corsica giru que nous avions en partenariat avec Corse-Matin, du débroussaillage, autant de prétextes qui ont amené diverses prises de bec successives.
"À Quasquara, on a l'habitude de gérer nos affaires sans que des interventions extérieures interfèrent"
Que demande la requérante qui a saisi la justice, quels sont ses griefs ?
Elle assure qu'elle n'a jamais attaqué la croix, mais souhaite que celle-ci soit déplacée. Or la requête déposée au tribunal réclame bien l'enlèvement pur et simple du calvaire. Nous avons entamé une médiation requise par la présidente du tribunal administratif, procédure à laquelle les deux parties ont accédé avant que la plaignante, voyant que l'affaire dérapait, se retire en arguant qu'elle était une légaliste et que le problème se réglerait autrement. Nous en sommes ainsi arrivés jusqu'au tribunal. Ma porte, celle de la mairie, reste toutefois ouverte.
À qui appartient le terrain sur lequel s'élève la croix ?
C'est ce que l'on appelle un "délaissé". J'ai mandaté quelqu'un pour qu'on m'indique avec précision ses contours exacts. D'aucuns se proposent de le racheter.
La confrérie sant'Antonu di u monti, notamment. Mais aussi le RN, Mossa Palatina et l'UDR qui ont constitué une plateforme politique commune et sont prêts à acquérir la parcelle. Une solution envisageable ?
La proposition n'engage que ceux qui la font. À Quasquara, on a l'habitude de gérer nos affaires sans que des interventions extérieures au territoire communal interfèrent et s'en mêlent. Chacun doit demeurer dans son périmètre, y compris les partis politiques en tant que tels. Nous sommes en train de travailler sur les voies et recours auxquelles la commune a droit et sur les moyens que nous pouvons mobiliser dans le but de sécuriser la croix.
Cela passe forcément par l'achat du terrain ?
Ou par une convention, mais je ne peux pas en dévoiler davantage ayant missionné un expert dont j'attends les conclusions.
"Si pour atteindre un édile, on est capable de prendre pour cible la croix symbolique, cela devient clochemerlesque"
Pourquoi le débat s'est-il cristallisé à Quasquara alors que des croix existent partout en Corse ?
C'est l'élément le plus improbable. Pourquoi se focaliser sur Quasquara ? Pour essayer d'attaquer l'élu que je suis. Mais derrière l'élu que je suis, il y a une famille, la mienne, ma mère, mon épouse, mes enfants - mon père n'est plus de ce monde mais il nous regarde - qui en souffre. Et toute une communauté quasquaraise avec. Si, pour atteindre un édile, on est capable de prendre pour cible la croix symbolique, cela devient tragiquement clochemerlesque.
La croix de Quasquara, définitivement victime de sa récupération ?
Il ne peut y avoir de récupération sous quelque forme qu'elle se manifeste.
Diriez-vous qu'il y a une affaire de la croix ?
Il n'y a pas d'affaire. Il y a ce que l'on est en train de vivre parce que quelqu'un nous a mis sous les feux des projecteurs. Avec un immense élan de solidarité à la suite de la décision du tribunal.
"Les calvaires nous ont précédés, ils nous survivront. Ils sont notre histoire, notre mémoire collective"
Qu'attendez-vous de l'évêque de Corse, le cardinal Bustillo, avez-vous échangé avec lui ?
L'évêque est clair, une croix doit être servie par les fidèles et non desservie par les querelles. Personne ne peut s'approprier ce symbole patrimonial, reflet de notre identité, de notre culture, de notre enracinement, de notre foi dans les valeurs chrétiennes. Les calvaires nous ont précédés, ils nous survivront. Ils sont notre histoire, nous leur devons notre mémoire collective. La croix appartient à tous ceux qui ont envie de se recueillir devant elle, croyants ou non. L'évêque m'a assuré qu'on trouverait une solution.
Comment en sort-on ?
Par le haut, en faisant tout pour sanctuariser cette œuvre, culturelle ou cultuelle, c'est selon. Depuis une semaine, un monde fou se presse face au calvaire de Quasquara. L'autre jour, un petit vieux est arrivé, il l'a regardé et s'est mis à pleurer. C'était triste et beau.
La discorde à l'œuvre est-elle de nature à perturber les municipales à l'horizon ?
Si l'on doit s'y préparer, j'y réfléchis pour le moment, il ne sera pas question de s'adosser à ces turbulences.
Quel regard porterait, selon vous, le pape François, s'il était encore en vie, sur cette querelle, lui qui avait pris la Corse en exemple la présentant comme un modèle de "laïcité saine" en Europe ?
Le pape a disparu, je ne saurais parler à sa place. Mais lors de sa venue en Corse, il avait insisté sur la cohabitation réussie de toutes les religions sur le territoire insulaire. Je pense que le Saint-père serait monté au créneau.
Vous êtes croyant ?
Bien sûr.