L'été est en principe un moment où chacun se repose et se distrait sans se préoccuper des difficultés économiques ou politiques. Mais les militants politiques convaincus peuvent vouloir malgré tout répandre leurs idées auprès des vacanciers. Ils doivent s'adapter aux circonstances et aux lieux.
Il en a été ainsi de la réunion tenue par des socialistes à Guagno-les-Bains voici plus d'un siècle, quand les vacances duraient jusqu'au 1er octobre.
Elle a été mise en exergue par les historiens Gilles CANDAR et Christophe PROCHASSON dans l'article "Le socialisme à la conquête des terroirs" publié par le numéro 160 (juillet-septembre 1992) de la revue "Le Mouvement Social". Analysant la propagande socialiste dans les campagnes avant 1914, ils font la liste des formes de réunions et des locaux utilisés (salle municipale, café...) et ils écrivent:
Le local pouvait être insolite: ainsi l'établissement de bains de Guagno-les-Bains, le 9 septembre 1906, pour une conférence du docteur Susini, militant socialiste parisien de passage.
Des détails supplémentaires se trouvent dans "L'Humanité" du 17 septembre 1906. Le quotidien, fondé deux ans auparavant par Jean JAURÈS, était l'organe officiel de la SFIO, nom du parti socialiste de l'époque.
L'article précise qu'il s'agit de l'initiative de "jeunes gens" du coin et que l'établissement a été "gracieusement mis à leur disposition par l'aimable propriétaire". Le public était constitué par "plusieurs habitants des communes voisines (...) venus se joindre aux nombreux baigneurs". Il comprenait même deux anciens médecins militaires dont un présenta le docteur SUSINI.
Cet orateur, même s'il était "membre du conseil fédéral de la Seine", n'était cependant pas un inconnu dans cette partie de la Corse.
Dans le "Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français" (3e partie, 1871-1914, de la Commune à la Grande guerre : Ras à Z), publié sous la direction de Jean MAITRON, il a droit à la notice suivante:
Etienne Susini (1839-1908) , docteur en médecine ayant d'abord exercé à Marseille puis à Paris, y est enterré. Conseiller municipal à Marseille, il prit part à la proclamation de la Commune en mars 1871. Membre important du Cercle de l'Indépendance qui, après la Commune, groupa les survivants du mouvement communaliste, il fut le disciple de Blanqui dont il était l'ami et le médecin. Elu de Sant'Andréa-d'Orcino, son bourg natal, il fut quelques mois avant sa mort délégué titulaire de la fédération socialiste corse. A ce titre il était fier de se dire le premier élu révolutionnaire de la Corse.
Il eut une certaine célébrité en 1886, quand il fut traduit en justice, et acquitté, avec Louise Michel, Jules Guesde et Paul Lafargue pour "provocation au meurtre et au pillage" à la suite d'un meeting de soutien aux mineurs grévistes de Decazeville.
Une brochure du docteur SUSINI ("Plus de Dieu, plus de maître") passe pour avoir inspiré Louis BLANQUI qui en fit "Ni Dieu, ni Maître", devenu le slogan des anarchistes (cité dans "500 citations de culture générale" de Gilbert Guislain, Pascal Le Pautremat et Jean-Marie Le Tallec).
Le responsable venu à Guagno-les-Bains était donc une "grosse pointure" du parti. Cette réunion démontre l'important et précoce enracinement de la gauche dans les Deux-Sorru, et notamment à Poggiolo, comme le prouvèrent les élections de 1914 (voir l'article Il y a cent ans: l'originalité poggiolaise).
Cette réunion s'est déroulée il y a 108 ans. Qui maintenant, quelle que soit son étiquette politique, oserait déranger les estivants pour parler de politique?