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19 août 2024 1 19 /08 /août /2024 07:00

 

La légende de la Sposata a inspiré de nombreux artistes, écrivains, peintres ou chanteurs. 

 

Le côté fantastique de cette histoire est accentué par l'incarnation du personnage principal dans la montagne.

 

Certains ne remarquent pas la tête de la méchante fille sur les rochers. Il suffit pourtant de bien lever les yeux.

 

Pour aider les visiteurs nouveaux, une aide leur avait été fournie dans le bulletin n°8 de l'Association Renno-Informations, en date du 25 juillet 2009. Marilyne Dufresne, originaire de la commune d'Azilone-Ampaza, dans le sud de la Corse, avait, en quelques coups de crayon, dégagé les traits de la Mariée et les plis de ses vêtements.

 

Les légendes de chez nous: L'éternelle mariée d'un jour (10/10)
Les légendes de chez nous: L'éternelle mariée d'un jour (10/10)

 

Ce procédé a été utilisé par le dessinateur de Canopé (l'ex-CRDP) dans la brochure "50 documents pour une culture corse" publiée en 2016. 

 

Les légendes de chez nous: L'éternelle mariée d'un jour (10/10)

 

Bien plus prosaïques, les alpinistes ont utilisé la Sposata pour calculer comment l'escalader.

 

Les légendes de chez nous: L'éternelle mariée d'un jour (10/10)

 

Beaucoup plus poétique, Antoine CIOSI en a fait une chanson.

 

Les légendes de chez nous ( 3/7): la Sposata ou l'inspiratrice des artistes

 Composée par Dany REVEL, cette chanson s'intitule "La Sposata ou la légende de la mariée maudite". Elle est une réflexion sur la force de l'amour. Le chanteur se place plutôt du côté de la jeune femme:

"Fallait-il que l’amour soit fort

Pour que tu braves ainsi le sort".

 

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16 août 2024 5 16 /08 /août /2024 07:00

Parfois, la légende et l'histoire sont si entremêlées qu'il est difficile de savoir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.

 

Avez-vous déjà entendu parler du seigneur de Sorro et de ses relations difficiles avec les habitants de Guagno?

 

L'affaire se serait déroulée au XIe siècle d'après l'article publié dans le quotidien "Le Petit Marseillais" du 1er juin 1923 par un nommé CIPRIANI dont le prénom n'est pas donné. Mais, de cette époque, nous n'avons pas de documents écrits, sûrement pas dans les archives génoises qui sont très fournies mais l'époque de cette histoire remonte à l'époque pisane.

 

Voici l'article paru voici 101 ans dans le quotidien de Marseille.

 

Petrù et le seigneur de Sorru
Petrù et le seigneur de Sorru

Dans le cadre d'une série sur "les centres d'excursion corses", ce texte décrit "l'état lamentable" de l'établissement thermal. Mais l'essentiel est d'expliquer pourquoi Guagno-Village "possède des biens communaux d'une étendue de plus de 200 hectares sur le territoire de la commune" de Poggiolo. L'origine serait à remonter jusqu'au XIe siècle, c'est-à-dire à peu près l'époque de la construction de l'église Sant'Anarilla aux Trois Chemins (voir ici).

 

La population guagnaise se serait révoltée contre les abus du comte, seigneur de Sorru, et aurait obtenu la gestion des terres situées "entre la rivière de Grosso et la crête méridionale où se trouvent la forêt et la source d'eaux thermales". Ces terrains restent toujours à Guagno sauf la source et ses environs qui appartiennent au département.

Col de Sorru vu de Soccia (copie d'écran du reportage de D'Umani sur les Deux Sorru).

Col de Sorru vu de Soccia (copie d'écran du reportage de D'Umani sur les Deux Sorru).

Un point de l'accord est à retenir: le seigneur s'engageait à "ne plus s'aventurer au-delà du ravin Rivo-Secco". Or, la rivière de Rioseccu, à mi-chemin des deux villages, marque la limite administrative entre les communes de Poggiolo et de Murzo depuis le décret de Louis-Napoléon attribuant Guagno-les-Bains aux Poggiolais. Le col de Sorru n'est pas du tout poggiolais.

 

Le seigneur avait-il voulu garder entièrement le col pour continuer à contrôler la pieve?

Pont de Rioseccu, limite entre Poggiolo et Murzo, vu dans le sens de la descente (photo Google).

Pont de Rioseccu, limite entre Poggiolo et Murzo, vu dans le sens de la descente (photo Google).

Pont de Rioseccu vu dans le sens de la montée (photo Michel Franceschetti, 23 juillet 2009).

Pont de Rioseccu vu dans le sens de la montée (photo Michel Franceschetti, 23 juillet 2009).

Qui était ce seigneur? Etait-il un membre de la famille qui s'était établie au château de la Catena, près de Letia? (voir l'article ici).

 

Si ce personnage n'est pas imaginaire, il faut retenir le nom de Petrù, le chef des Guagnais révoltés. Il serait certainement le premier des habitants de Sorru in sù dont nous aurions l'identité. 

 

Mais peut-être est-ce une légende destinée à expliquer à la fois que les Guagnais refusaient d'avoir des maîtres et qu'ils considéraient la source des Bains comme étant à eux...

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14 août 2024 3 14 /08 /août /2024 07:00

Un grand nombre de légendes locales se rapporte aux cloches et au carillon de minuit, le soir de Noël.

Ainsi, près d'Ajaccio, on peut entendre sonner des cloches dans la mer, au large de la tour de la Parata; ce sont les cloches du village de Zicavo que des pirates emportèrent un jour après avoir massacré les habitants. Mais, à la suite de la prière du curé du lieu qui avait échappé, le Seigneur fit couler les galères des assaillants.

 

Près des Deux-Sorru, juste en face de Poggiolo mais de l'autre côté du Tretorre, il existe la légende des cloches de Scanafaghiaccia

Les cloches de Rezza

Cette localité, au-dessus de la rive droite du Cruzzini, a  souffert des actions militaires menées par la République de Gênes et l’Office de Saint-Georges contre les derniers seigneurs féodaux Cinarchesi au cours de la deuxième moitié du XVe siècle.  Le repeuplement du territoire ne reprit qu’au début du XVIIIe siècle avec l’implantation d’habitants venus de la piève de Sorro in sù et notamment de Guagno.

 

Le village a pris le nom de commune de Rezza en 1921 car son nom était jugé trop compliqué par la Préfecture. Scanafaghiaccia désigne maintenant un de ses treize hameaux. Le député Laurent MARCANGELI est originaire de l'endroit.

 

Si l'on a le courage de s'aventurer, la nuit de Noël, à minuit, dans la pinède de Rezza, on entend, dit-on, des cloches d'une tonalité exquise sonner dans l'obscurité. Ce sont les cloches du hameau de Scanafaghiaccia, jadis placées dans le clocher de l'église et qui faisaient l'orgueil du pays, car elles étaient coulées dans un bronze merveilleusement sonore. 

 

Durant l'occupation génoise, les habitants de Scanafaghiaccia se révoltèrent contre leurs oppresseurs et en abattirent quelques-uns. En représailles, la République envoya quelques mercenaires à sa solde avec mission de châtier les insurgés. Ces derniers s'empressèrent de cacher leurs biens: deux paysans eurent l'idée de décrocher les cloches et d'aller les dissimuler dans des rochers en un endroit connu d'eux seuls. 

 

Malheureusement, ils furent tués tous deux, emportant leur secret dans la tombe. Les cloches ne purent jamais être retrouvées.

("Guide de la Corse mystérieuse" par Gaston d'ANGELIS et Don GIORGI)

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12 août 2024 1 12 /08 /août /2024 07:00

 

Avec ses 41 kilomètres, le Liamone est un long fleuve pour la Corse. Prenant sa source près de Letia, sur le versant ouest du massif du Cimatella, il descend vers le golfe de Sagone après avoir traversé tout le canton des Deux Sorru. Le Fiume Grosso qui passe à Guagno-les-Bains est un de ses principaux affluents.

 

Ce cours d'eau qui paraît tranquille l'été connaît de fortes variations de débit en fonction des pluies et des saisons. Le phénomène de la fiumara est particulièrement impressionnant (voir l'article Gare à la fiumara). 

 

Chaque année, les rives du Liamone connaissent des événements dramatiques (voir les articles Hélitreuillage à Zoicu et Mort dans le Fiume Grosso).

 

Mais savez-vous que l'origine de ces dangers vient d'un pacte avec le Diable?

 

Daniela RADUT le raconte dans son livre "Vivant entre deux mondes" paru en 2013 (ed. Société des Ecrivains).

 

 

Golu, Tavignanu et Liamone étaient trois frères, nés dans les montagnes de l’île.

Les légendes de chez nous (6/7): l'insouciance tragique du Liamone

Un jour, comme ils ne pouvaient plus se résigner à continuer à vivre dans le terrible froid qui s'était installé dans les montagnes, les trois frères ont décidé de descendre vers les plaines, à la recherche d'un endroit avec des températures plus douces et c'est pour ça qu’ils sont partis, chacun sur un chemin, pour se réunir de nouveau, tous les trois, à un certain point sur le rivage.

 

Golu et Tavignanu ne perdirent pas de temps, ils descendaient donc le plus vite possible de la montagne et, en un temps assez court, ils atteignirent le lieu de rencontre prédéterminé.

 

Ce ne fut pas la même chose avec Liamone qui, après avoir erré à travers les montagnes et les vallées, tout à coup, s'est rendu compte qu'il était très en retard et ne serait pas en mesure d'atteindre le point de rencontre au bord de la mer, selon leur décision prise avant le départ. Alors, un grand désespoir l'envahit, car il ne savait pas comment tenir sa promesse envers ses frères.

 

Ce fut pour Satan le moment propice, très attendu, et il s'est présenté immédiatement devant Liamone, lui proposant une transaction simple mais horriblement cruelle: lui, Satan, permettrait à Liamone d'arriver à temps au point de réunion avec ses frères sur le rivage et, en échange de cela, Liamone donnera à Satan une âme chaque année. N'ayant pas le choix, Liamone accepta l'accord. 

 

 

Donc, c'est comme ça que la légende corse explique pourquoi, dans les eaux de la rivière Liamone, ou dans les eaux de l’un de ses trois affluents, Catena, Fiume Grossu ou Cruzzini, chaque année, se noie au moins une personne, son âme étant le prix payé par Liamone à Satan.

 

Malgré son pont ultra-moderne, l'embouchure du Liamone reste dangereuse.

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10 août 2024 6 10 /08 /août /2024 07:00

 

Les marcheurs connaissent bien Camputile par lequel ils passent pour rejoindre les lacs de Crena et de Ninu.

 

Le plateau de Camputile a été présenté sur ce blog dans un article racontant la bataille entre Naziunali corses et Grecs pro-Génois en 1734 (voir l'article Les chaussures perdues des Grecs).

 

Il est également présent dans la Légende. Depuis de nombreuses générations, se transmet un récit se passant sur cet endroit proche du lac de Ninu et expliquant la particularité du Capo Tafunatu, montagne située à plusieurs kilomètres de Camputile.

Plateau de Campanile en juillet 1973 (photo Michel Franceschetti).

Plateau de Campanile en juillet 1973 (photo Michel Franceschetti).

 

Sur le site u-niolu.skyrock.com, aujourd'hui fermé, était donnée l'explication suivante:

Le Tafunatu percé d'un énorme trou de 35 m de large et 10 de haut, véritable énigme géologique. Sa roche verte contraste avec les teintes orangées du levant et c'est un régal pour les yeux lorsque les nuages qui le traversent fond croire à la présence d'un volcan en activitéé.
Le trou aurait été fait, selon une légende, par la percussion du soc de la charrue du diable. En effet, Satan, pour faire opposition à St Martin, s'était forgé une charrue à toute épreuve et creusait avec des chaussées larges comme des vallées. St Martin reprocha alors au diable de ne pas savoir tracer un sillon droit. Humilié et énervé, le Diable jeta le soc vers la mer de toute ses forces et le soc rencontra l'échine du Tafunatu sur sa trajectoire. Les boeufs de la charrue furent eux pétrifiés sur place par St Martin et une fois de plus, le Bien triompha du Mal...

photo extraite du site https://www.camptocamp.org/

photo extraite du site https://www.camptocamp.org/

Il existe plusieurs versions de cette légende mais elles ne se passent pas toutes entièrement à Camputile; elles ont toutes comme protagonistes le Diable et Saint Martin, et le trou dans la montagne s'explique par le lancer d'un outil du Diable. Selon les cas, l'objet est une charrue ou un marteau.

L'œil du Diable (site Wild Corsica)

 La version reproduite ici est extraite de l'article de Georges RAVIS-GIORDANI et intitulé "Organisation sociale et représentations fantasmatiques du travail et des conflits dans le cadre de la transhumance corse", paru dans "Mélanges de l'école française de Rome" en 1988.

 

Je voudrais pour cela comparer et analyser trois récits mythiques dont deux sont très connus dans l'île, et se présentent sous plusieurs versions. Je les résume rapidement : le premier est une légende qui vise à rendre compte d'une curiosité naturelle, une montagne trouée de part en part par un tunnel de 100 à 150 m de diamètre, u Capu Tafunatu; elle met en scène saint Martin et le Diable. Dans la version la plus longue que je connaisse, celle que Chanal a recueilli dans son voyage en Corse, en 1889, elle se subdivise en 4 temps : 

 

1er temps : le Diable est berger salarié chez saint Martin, éleveur niolin; il passe contrat avec lui, et d'après les termes du contrat, «per mezzu», il convainc saint Martin de partager le troupeau en mettant d'un côté les bêtes cornues qui iront à saint Martin, et de l'autre les bêtes non cornues («motine») qui iront au Diable. Or la plupart des bêtes étaient «motine»; quand saint Martin s'en aperçoit il est trop tard, il a déjà consenti aux termes du contrat. Mais dans la nuit Dieu fait pousser des cornes à presque toutes les bêtes du troupeau et le Diable ne reçoit qu'une paire de bœufs.

 

2e temps : le Diable, pour se venger de saint Martin, se fait laboureur, sur les hauteurs du Camputile, près du lac de Ninu, qui passe pour être l'ancienne cheminée de la forge du Diable, et il tente les Niolins en leur faisant miroiter les bienfaits du pain de froment. Il essaie de les détourner de la consommation de la pulenta de farine de châtaignes, mais saint Martin pétrifie ses bœufs, et ruine aussi le projet du Diable. 

 

3e temps : le Diable tente alors de séduire les Niolins en leur proposant de rompre leur isolement hivernal ; pour cela il leur propose de remplacer la mauvaise passerelle qui permettait l'hiver de franchir le Golo par un solide pont. Saint Martin réussit à persuader les Niolins d'exiger que ce pont soit construit en une nuit. Le Diable y parvient presque, mais le coq, réveillé par saint Martin chante avant que le pont ne soit terminé et les Niolins gardent le pont, sans perdre leur âme. 

 

4e temps : de rage le Diable remonte au lac de Ninu et, avant de s'y précipiter, jette son marteau à travers les airs ; celui-ci traverse la montagne dite depuis Capu Tufunatu et va s'enfoncer dans la «plage» de Galeria, où il servira pendant de nombreux siècles de bitte d'amarrage pour les navires barbaresques qui viendront ravager les côtes. Après la défaite des Sarrasins, le sable a recouvert le marteau, et le maquis a repoussé par dessus. 

 

Le Diable et St Martin (couverture de "Contes et légendes de Corse", édition 1953)

Le Diable et St Martin (couverture de "Contes et légendes de Corse", édition 1953)

Georges RAVIS-GIORDANI termine son article par l'analyse suivante:

"La victoire du saint Berger sur le Diable laboureur aboutit à l'ouverture symbolique de la route de transhumance (qui passe au pied du Capu Tafunatu); cette victoire s'inscrit bien entendu sur le fond de la lutte plus générale du Bien contre le Mal, des chrétiens contre les infidèles. La transhumance y apparaît comme un enjeu dérivé puisque les enjeux principaux sont tour à tour l'acquisition de la maîtrise du feu, de l'agriculture et des communications avec l'extérieur. D'autre part, cette victoire n'est pas sans contrepartie puisqu'elle expose les bergers transhumant aux incursions barbaresques."

Avec deux autres légendes citées dans cette étude, "ces trois récits mythiques nous disent, me semble-t-il, une même chose: la transhumance n'est pas une pratique naturelle, mais c'est néanmoins une exigence culturelle que seul un exploit miraculeux ou héroïque permet d'accomplir. En même temps, elle apparaît liée au renversement des valeurs, à la victoire des plus faibles, la femme, le berger, le paysan humilié comme si elle était - et je crois qu'elle l'est - dans le système pastoral du moment, ou un des moments, où les rapports des hommes entre eux et des hommes avec la nature pouvaient s'inverser."

 

Les 17 pages de l'article complet peuvent être consultées à l'adresse:  https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1988_num_100_2_2989

Troupeau en transhumance à Guagno-les-Bains dans les années 1960 (photo Maryse Moretti)

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8 août 2024 4 08 /08 /août /2024 07:00

 

Les lacs ne sont pas toujours les repaires des démons. Même le lac de Crena (ou de Creno), après que Satan en eut été chassé (voir la légende numéro 3), abrite plusieurs fées dont la reine intervient dans le conte ci-dessous.

 

Cette histoire était racontée dans plusieurs endroits de Corse. Elle a donc plusieurs versions. Certaines localisent la famille de Francescu à Orezza et non pas dans le Niolu. D'autres citent la localité de Cervione, au lieu de Mariana, comme la ville du jeu. Mais il est évident que la seule véritable version que peut être que celle qui concerne les Deux-Sorru!

 

Le texte est celui de l'"Almanach de la mémoire et des coutumes de la Corse" écrit par Claire TIÉVANT et Lucie DESIDERI (Albin Michel, 1986) et dont sont extraites les deux premières illustrations.

 

FRANCESCU RENCONTRE LA FÉE DU LAC DE CRENA

Les légendes de chez nous (7/7): la fée du lac

Un beau jour, en temps de disette dans le Niolu, un pauvre père de famille dut déclarer à ses douze enfants qu'ils devaient quitter la maison paternelle pour aller gagner de par le monde le pain que le pays ne pouvait leur procurer.

 

Le pauvre petit Francescu, cadet de la famille, se mit à pleurer à chaudes larmes. Comment pourrait-il suivre ses frères, lui qui était boiteux? Le père consola l'enfant, fit promettre à ses fils aînés de ne jamais abandonner leur petit frère et la mort dans l'âme, dit adieu à ses enfants.

 

Ceux-ci décidèrent de gagner Bunifaziu (Bonifacio) afin de s'embarquer pour la Sardaigne. La route était longue et Francescu les retardait. Ils convinrent donc de l'abandonner. Lorsqu'ils atteignirent Bunifaziu, le temps se couvrit. Ils embarquèrent et la tempête se leva. Le bateau fit naufrage et les onze frères périrent en même temps. 

Les légendes de chez nous (7/7): la fée du lac

Mais retrouvons Francescu qui, délaissé en chemin, avait tant pleuré ses frères qu'il s'était endormi. Lorsqu'il s'éveilla, une vieille femme était assise à ses côtés et il réalisa soudain que sa jambe était miraculeusement guérie. Il comprit alors que la vieille femme avait profité de son sommeil pour lui frotter la jambe avec des herbes merveilleuses, et il lui manifesta une émouvante reconnaissance.

 

Touchée par la bonne nature de ce garçon, la vieille femme reprit donc son apparence de fée et, avec une grâce infinie, avoua à Francescu qu'elle était Belluccia, la reine des fées du lac de Crena, et proposa, avant de disparaître, de lui accorder deux bienfaits. Francescu obtint ainsi un sac dans lequel pouvait entrer tout ce qu'il désirait, et un bâton qui faisait toutes ses volontés. A peine les avait-il en main que la belle fatadisparut. Francescu demanda à son sac une perdrix rôtie qu'il dégusta séance tenante.

La fée du lac de Crena pouvait ressembler à celle d'Ulmetu, site Art et âme corse (https://art-et-ame-culture-corse.fr/)

La fée du lac de Crena pouvait ressembler à celle d'Ulmetu, site Art et âme corse (https://art-et-ame-culture-corse.fr/)

 

Une fois restauré, le garçon décida que ses pas le mèneraient à Mariana. Combien de fois n'avait-il pas entendu raconter que là-bas, tous les joueurs de Corse et d'Italie venaient jouer leur fortune? On disait encore que le diable, sous l'aspect d'un élégant jeune homme, y était le maître du jeu et que nulle victime, attirée là par l'appât du gain, ne savait lui résister. Ainsi donc, le diable achetait son âme et chaque jour, il trouvait une nouvelle proie. 

 

LA PARTIE DIABOLIQUE

Fort de son sac et de son bâton, Francescu se dirigeait d'un pas sûr en direction de Mariana. Arrivé aux portes de la ville, Francescu commanda : « Cent mille écus dans mon sac ! » et aussitôt les écus pesèrent de tout leur poids dans le sac. Le diable qui avait l'apparence d'un beau jeune homme n'avait pas tardé à repérer Francescu aux tables de jeu. Il lui proposa de jouer avec lui et, trois jours durant, ne cessa de gagner.

Les légendes de chez nous (7/7): la fée du lac

Au bout de trois jours, le diable pensa que son adversaire était sur le point d'être ruiné. Il lui proposa donc, s'il voulait recouvrer sa fortune perdue, d'aller violer la jeune fille qu'il lui désignerait. Ainsi achetait-il les âmes !

 

 "Saute dans mon sac", s'écria Francescu. Et le diable se retrouva aussitôt prisonnier dans le sac magique. Alors Francescu ordonna à son bâton de frapper le sac sans relâche. Le diable finit par crier grâce et accepta de rendre la vie à tous les jeunes hommes qui, ruinés par ses soins, s'étaient donné la mort de désespoir. Enfin, Francescu donna à chacun d'entre eux une petite somme d'argent pour quitter la ville et aller gagner honnêtement sa vie. Sa mission accomplie, Francescu décida de rentrer au pays. 

 

LE BON USAGE DE LA MAGIE

En chemin, il corrigea un certain docteur Brancaziu qui refusait de soigner un malheureux vieillard. Puis il arriva chez lui, dans le Niolu. Là, la famine qui l'avait jeté sur les routes avec ses frères continuait à sévir cruellement. Francescu ouvrit une auberge : grâce à son sac et son bâton, il put offrir deux repas par jour aux villageois, jusqu'à ce que l'abondance revînt. Alors il cessa ses largesses pour ne pas rendre son entourage paresseux. On ne peut dire que Francescu vécut heureux. Regrettant ses onze frères, il eut beau essayer de les faire rentrer dans son sac en les nommant un à un, il n'y recueillit que des os. 

 

Francescu vécut longtemps. Lorsqu'il fut très vieux, la mort vint le trouver. Mais souhaitant revoir une dernière fois la bonne fée qui avait favorisé sa vie, il demanda à la mort de lui accorder un délai. Devant son refus obstiné, le vieux Francescu usa une dernière fois de son pouvoir : 
« Saute dans mon sac », dit-il à la mort. Et celle-ci se trouva prisonnière dans le sac.

Les légendes de chez nous (7/7): la fée du lac

La reine des fées du lac de Crena lui apparut alors, toujours d'une égale beauté. «Tu as fait si bon usage du sac et du bâton, Francescu, dis-moi comment je puis te récompenser; je peux t'offrir la jeunesse, la richesse, le pouvoir, tout ce que tu désireras». Mais le vieux Francescu s'estimait rassasié de jours. Il demanda donc à la bonne fée que la Corse fût débarrassée à jamais des Sarrasins. Le vœu accordé, la fée disparut pour toujours. 

Quant à Francescu, il prépara un bon feu pour réchauffer ses pauvres membres déjà froids et, libérant la mort, il jeta son sac et son bâton dans le feu, craignant qu'on n'en fit mauvais usage. Et le feu n'était pas encore éteint que la mort était venue faucher la vie du brave Francescu. 

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6 août 2024 2 06 /08 /août /2024 07:00

 

Au Sud des villages d'U Pighjolu et d'A Soccia, le sommet du Tretorre attire tous les regards. Il a la forme d'un grand rocher arrondi, si bien arrondi que des enfants le voyant pour la première fois le comparent souvent spontanément à la carapace d'une tortue.

Les légendes de chez nous (5/7): les trois tours du Tretorre
Les légendes de chez nous (5/7): les trois tours du Tretorre

Photos de Michel Franceschetti

 

Pourtant, ce nom de Tretorre, qui signifie "trois tours", se justifie. Les trois tours existent bien mais il faut être de côté, comme à Guagnu qui est plus au Nord-Est, pour apercevoir les différentes éminences provoquées par la jument guagnaise du Diable. On pourrait même en compter quatre mais trois reste le chiffre officiel.

Photo extraite du blog http://corse-sauvage.com/

Photo extraite du blog http://corse-sauvage.com/

Le récit de cette cassure se trouve dans l'incontournable "Almanach de la mémoire et des coutumes de la Corse" écrit par Claire TIÉVANT et Lucie DESIDERI (Albin Michel, 1986). Nous reproduisons son texte.

 

     Satan a laissé de nombreuses traces de son passage dans le paysage corse, comme c'est le cas au sommet du mont Tretorre. La légende raconte qu'à l'origine, le mont Tretorre, entre Azzana et Guagnu, avait un sommet d'une seule pièce. Ce fut le passage de Satan qui le divisa en trois grosses tours de granite. Voici comment cela se produisit: 

 

   Dans la vallée du Cruzzini, au lieu-dit Pantanu, vivait un berger solitaire. Un soir, à la tombée de la nuit, alors qu'il se préparait à rentrer son troupeau, Orsu-Maria fut intrigué par l'attitude de son chien qui vint se blottir plaintivement contre lui. Une angoisse insaisissable monta en lui lorsque apparut au détour du chemin un cavalier fort élégant monté sur une superbe jument blanche. L'homme à la barbe rousse et aux yeux verts étincelants se rendait dans la pieve de Vivariu mais, surpris par la nuit, mandait à Orsu-Maria de bien vouloir lui accorder son hospitalité. 

 

  Malgré sa méfiance, Orsu-Maria accepta de bon cœur: un Corse ne refuse jamais l'hospitalité. Il alluma un bon feu dans la bergerie et, mettant à l'aise son hôte, alla rentrer la jument à l'écurie.

 

   Quel ne fut pas son étonnement d’entendre l’animal proférer les paroles suivantes :

 « - Méfie-toi de mon maître, Orsu-Maria. Folle fille de mon vivant, moi, Bianca de Guagnu, en punition de mes péchés, je suis devenue le coursier de Satan. Demain, nous  emporterons en enfer les âmes des mauvais chrétiens. N'oublie pas de te signer ce soir, avant de partager ton lait de brebis et tes châtaignes! »

 

    Tout ébahi, Orsu-Maria retourna auprès de son hôte. Suivant le conseil de la jument, Orsu-Maria se signa avant de partager son souper. Alors, au même instant, l’élégant visiteur se métamorphosa et reprit sa forme de diable aux pieds fourchus et tête cornue. Fou de rage, il enfourcha sa monture en rugissant:

« Ah ! Bianca, garce sans cervelle, tu m’as trahi; je vais te donner la plus belle course de ta vie éternelle ".

 

     Sous les coups de trident et d'éperons, la malheureuse jument, la bouche en sang, bondit à travers la pinède et, entourée d'une nuée de lagramanti (les génies des tempêtes), de mazzeri (les âmes des magiciens et des sorciers) et de streghe aux ailes de chauves-souris, elle s'élança avec son cavalier fou, faisant ébouler d'énormes roches, imprimant sa cuisse dans la falaise du Lancone où coule une cascade, et finalement, atteignant le sommet du Tretorre sur lequel, en une dernière ruade d'une violence incroyable, elle fendit la roche en trois énormes blocs avant de disparaître dans un éclair fulgurant.

 

     Cette nuit-là, dans tous les hameaux, on pria avec ferveur. Et, au matin, on découvrit que le sommet de la montagne était divisé en trois blocs qui ressemblaient à des tours. On l'appela désormais Tretorre. 

 

Le Tretorre n'est plus diabolique et ses pentes raides n'empêchent pas les randonneurs comme Hervé Calderoni d'atteindre son sommet (photo du 15 août 2012).

Le Tretorre n'est plus diabolique et ses pentes raides n'empêchent pas les randonneurs comme Hervé Calderoni d'atteindre son sommet (photo Michel Franceschetti du 15 août 2012).

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4 août 2024 7 04 /08 /août /2024 07:00

 

Les légendes de chez nous (1/7): Le lac de Satan

Les touristes se pressent chaque été pour aller admirer le lac de Crena. L'endroit est célèbre pour être le seul lac d'altitude corse bordé d'arbres qui donnent une ombre bienfaisante en plein cœur de l'été. Mais l'obscurité de cette forêt est également inquiétante car elle fait penser que ce lac est considéré comme le lac de Satan.

 

Les habitants de Soccia ayant décidé de chasser le Malin de la vallée du Liamone, celui-ci, d'un furieux coup de marteau, creusa une énorme cavité qui se remplit d'eau et dans laquelle il se réfugia. C'est le lac de Crena dont le fond communiquait avec la fournaise infernale.

Les légendes de chez nous (1/7): Le lac de Satan

Cependant, les Socciais, que le diable continuait à tourmenter durant leur sommeil, firent appel à un pieux ermite expert dans l'art de l'exorcisme. Le saint homme se rendit au bord du lac accompagné d'un berger. Les deux hommes se mirent en prière...

 

Peu à peu, le lac se vida de son eau, tandis que de magnifiques moutons blancs émergeaient pour tenter le berger. Mais ce dernier continua imperturbablement ses oraisons.

 

Alors, surgirent du lac des manteaux de pourpre, des chasubles d'or, des mitres étincelantes de diamants qui vinrent s'entasser au pied de l'ermite. Celui-ci, impassible, continua ses exorcismes, tandis que le niveau des eaux baissait toujours.

 

Quand le lac fut enfin à sec, Satan apparut agitant des ailes de chauve-souris couvertes de vase et avec un crinière de serpents. "Jésus! Marie!", s'écria le berger terrifié. Aussitôt, tout disparut et le lac reprit son niveau normal.

 

Aux berges du lac, les Droséracées, plantes carnivores, témoignent encore de cette présence maléfique ....

 
Pour plus de renseignements sur les droséras: http://www.dsot.fr/drosera.htm

Le texte de la légende est tiré du "Guide de la Corse mystérieuse" par Gaston d'Angelis et Don Giorgi. Les photos 2 et 3 viennent du site http://ortu.free.fr/ qui est malheureusement fermé.

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2 août 2024 5 02 /08 /août /2024 07:00

Depuis le col de Saint Antoine, quand on descend sur Vico et Murzo, des crêtes tourmentées se détachent sur les crêtes de la montagne. Et, parmi elles, un visage de femme tourné vers le couchant, vers la Cinarca: la SPOSATA, l'Epousée, la Mariée. Pourquoi est-elle là?

Les légendes de chez nous:  la Sposata ou la fille au cœur dur (2/10)

Il y avait jadis au petit village de Nesa, près de Vico, au pied des premiers contreforts de la montagne, une pauvre maison qui abritait Joanna Ambiegna et sa fille Maria. Les deux femmes avaient bien de la peine à vivre, étant des plus misérables parmi les plus misérables du hameau.

 

Joanna, âgée, devenue impotente par suite de fièvres mal soignées, restait à la maison et faisait la cuisine. Maria gardait le troupeau de chèvres d'un propriétaire de la localité. Par ce travail, elle gagnait quelques sous, le plus clair des ressources de la mère et de la fille, car, du maigre héritage du père, il ne restait à peu près que la maison et un indigent mobilier. Joanna était douce et bonne et elle souffrait sans se plaindre de la dureté de sa fille qui jamais, pour elle, n'avait un mot affectueux, jamais une de ces caresses qui vont au coeur des mères.

Les légendes de chez nous:  la Sposata ou la fille au cœur dur (2/10)

 

LA DEMANDE DU SEIGNEUR DE CINARCA

 

Seulement, si Maria Ambiegna manquait de coeur, elle était d'une grande beauté. Aucune fille dans toute la région n'avait d'aussi grands yeux noirs, aucune un visage aussi régulier, un profil aussi pur, aucune des tresses plus noires, plus longues, de cheveux plus fins.

 

Luciano de Tellano, seigneur de la Cinarca, un jeune et très riche gentilhomme, l'avait un jour aperçue, tandis qu'il chassait le mouflon sur les pentes de la montagne. A plusieurs reprises, il était revenu, il s'était même installé dans la maison qu'il possédait à Vico, alors que son château se trouvait à quelques lieues de là, à Orcino, afin de multiplier les occasions de rencontrer la jolie bergère. Lorsqu'il causait avec Maria, les mouflons pouvaient courir en paix, les perdrix s'envoler sous ses pieds, les lièvres déboucher du maquis, cet enragé chasseur ne s'en occupait plus.

 

Un beau jour, Luciano de Tellano demanda à brûle-pourpoint à Maria Ambiegna:

 

"Veux-tu être dame de la Cinarca?"

 

Maria, qui avait longtemps attendu ces mots, accepta.

 

Ce fut dans toute la région, de Vico à Evisa, à Sagone et jusqu'à Ajaccio, un cri d'étonnement. Jamais on n'eût supposé que le fier et beau seigneur, à qui étaient promises les plus riches héritières, les descendantes des plus nobles familles, pût songer à donner son nom à la moins fortunée des bergères.

 

 

LA DOT DE MARIA

 

Maria était heureuse, certes, mais son bonheur était mitigé par l'humiliation qu'elle éprouvait de n'apporter en dot à son époux que sa personne et les quelques misérables hardes qu'elle possédait.

 

Joanna Ambiegna était fière du mariage de sa fille, mais bien triste aussi. Elle sentait qu'elle la perdait à jamais. Loin de compatir à la peine de la vieille femme et de chercher à l'adoucir, la jeune fille passait ses derniers jours à la gourmander, l'accusant d'avoir mal géré son héritage, - si l'on peut appeler héritage deux chèvres, une cahute croulante et quatre meubles, - déclarant que le peu qui restait était à elle et qu'elle entendait l'emporter.

 

Tout ce qui se trouvait dans la cahute, jusqu'aux ustensiles de ménage, jusqu'aux couvertures, jusqu'aux assiettes d'étain, tout fut entassé dans des paniers. Ce n'est pas que Maria pensât que cela pût servir en aucune façon dans la riche demeure de son futur époux, dans ce château d'Orcino dont on vantait partout le luxe et les commodités, mais, comme elle le disait, elle ne voulait pas y entrer les mains vides.

 

 

LE CORTÈGE NUPTIAL

 

Enfin, le grand jour arriva.

 

Luciano, avec un imposant cortège d'amis, de serviteurs, de clients, tous superbement montés et harnachés, parut sur la place de Nesa. Des paniers soigneusement recouverts, afin que l'on ne vît pas les pauvres choses qu'ils contenaient, furent chargés sur le dos de mulets.

 

Maria, après avoir rapidement embrassé sa mère, plus pour l'édification de son fiancé et du public que par le moindre sentiment de tendresse, monta sur une belle jument blanche, caparaçonnée de velours rouge, aux côtés de son futur époux. Au milieu du tumulte joyeux des cavaliers de son escorte qui, en signe d'allégresse, tiraient des coups de fusil en l'air, l'épousée quitta, sans un regard en arrière, le village natal. En route pour l'église piévane d'Orcino où le mariage devait être célébré!

Les légendes de chez nous:  la Sposata ou la fille au cœur dur (2/10)

Sur le seuil de la cahute, maintenant vide de tout ce qui avait un semblant de valeur, de tous les souvenirs de défunt son mari, des petits riens auxquels elle était attachée, Joanna, les yeux baignés de larmes, regardait le cortège s'éloigner.

 

Le chemin d'Orcino grimpe à travers la montagne et s'élève dès la sortie du village. La pauvre veuve pouvait ainsi suivre la riante théorie, s'égrenant le long des flancs abrupts. Elle distinguait en tête du cortège sa fille sur sa jument blanche, à côté du seigneur de la Cinarca sur son cheval noir.

 

On eût pu croire que Maria, toute à son bonheur ou du moins à son triomphe, ne songeait plus qu'aux plaisirs qui l'attendaient, à cette vie de grande dame qu'elle allait mener à Orcino, aux immenses terres qu'elle allait partager avec son mari, aux forêts quasi impénétrables qui seraient son domaine, aux innombrables troupeaux sur lesquels elle régnerait en maîtresse, elle dont l'enfance s'était passée à garder les maigres chèvres des autres.

 

Mais non, dans son âpreté, elle n'avait de pensée que pour ce qu'elle emportait, pour les choses sans utilité désormais pour elle, qu'elle avait arrachées à la pauvreté de sa mère. Elle craignait d'en avoir oublié.

 

LE RACLOIR OUBLIÉ

 

Soudain, elle se frappa le front. Elle se rappela avoir omis de mettre dans ses bagages le racloir de son pétrin. Ce racloir, la conzula, cet ustensile servant à découper la pâte avant cuisson et à racler le fond du pétrin, sa mère s'en était servi la veille, puisque l'on avait fait de la galette. 

 

"Qu'y a-t-il, ma chère âme? demanda Luciano anxieux. Auriez-vous oublié quelque objet qui vous fût cher?

- Oui, mon doux seigneur, répliqua Maria. J'ai oublié à Nesa le racloir du pétrin."

 

Le seigneur de la Cinarca se mit à rire.

"Eh qu'importe, ma mie, le racloir de votre pétrin, votre mère s'en servira. N'en a-t-elle pas besoin? Vous n'aurez pas à Orcino à vous occuper de ces choses et je suis bien certain qu'il y en a tant qu'il en faut."

 

Le visage de Maria se ferma. Elle parut violemment contrariée.

"C'est ce racloir-là que je veux et non point un autre. Il m'appartient et je désire l'avoir. Donnez donc l'ordre à un de vos serviteurs d'aller le réclamer."

 

Luciano s'aperçut qu'il fâchait sa fiancée et il expédia un domestique à Nesa.

Racloir à pétrin

Racloir à pétrin

Joanna était toujours sur le seuil de sa demeure et n'avait pas perdu de vue le cortège maintenant arrivé tout en haut de la montagne à un endroit où, bientôt, il disparaîtrait à ses yeux.

 

Elle vit le cavalier qui se détachait du convoi et qui redescendait vers le village; quand le serviteur de Luciano de Tellano déboucha sur la place, la pauvre veuve s'imagina que sa fille avait eu un regret de sa dureté et que l'homme était chargé pour elle d'un message de tendresse. Ah! comme elle était prête à y répondre de tout son amour maternel !

 

Très poliment, elle s'adressa au domestique qui mettait pied à terre devant sa masure:

"Ma fille vous a-t-elle chargé pour moi d'une commission? Avait-elle quelque chose à me dire?

- Oui, répliqua l'homme, bourru et furieux d'avoir été envoyé en arrière et de devoir ensuite se presser pour rattraper ses maîtres, et tout cela pour si peu de chose. Oui, donna Maria vous fait dire qu'elle a oublié le racloir du pétrin et que vous avez à me le remettre tout de suite pour que je le lui apporte."

 

 

LA MALÉDICTION

 

Alors, pour la première fois, une révolte gronda dans le coeur de la vieille femme; cette ingratitude lui parut trop forte, trop dure, sa propre condition, seule, misérable, dépouillée.

Joanna tourna la tête vers le brillant cortège, là-haut sur la montagne; elle tendit un poing courroucé dans la direction de sa fille et s'écria:

 

"Tu seras punie, ô fille au coeur de pierre!"

Les légendes de chez nous:  la Sposata ou la fille au cœur dur (2/10)

 

On raconte aux veillées qu'à cet instant précis, dans le ciel bleu et sans nuage de cette journée de mai, un coup de tonnerre terrible éclata, secouant l'atmosphère, que tout le cortège nuptial fut environné subitement d'un épais brouillard et qu'un éclair vint frapper la montagne, dispersant chevaux et cavaliers.

 

Certains ajoutent que la terre trembla, que l'on entendit des voix menaçantes sortir des précipices, mais ce ne sont là sans doute que les effets d'une imagination en proie à la terreur, une terreur bien compréhensible.

 

Lorsque le brouillard se dissipa, Maria Ambiegna, la fille sans pitié, était changée en pierre, elle et son cheval. Et c'est la bergère corse, l'épousée du seigneur de la Cinarca, que les touristes peuvent voir juchée là haut sur le sommet, la tête tournée vers le château de la Cinarca qu'elle ne connaîtra jamais.

 

La Sposata, un roc, rien qu'un roc, comme son coeur.

 

-----------

Ce récit reprend en très grande partie les textes de cette légende qui sont nombreux sur internet. Mais, ici, la bonne orthographe de Nesa et Orcino a été rétablie.

Illustration tirée de "50 documents pour une culture corse" publié en 2016 par CANOPÉ de Corse

Illustration tirée de "50 documents pour une culture corse" publié en 2016 par CANOPÉ de Corse

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31 juillet 2024 3 31 /07 /juillet /2024 07:01

 

Pendant longtemps, dans toute la Corse, la nuit du 31 juillet au 1er août était redoutée car elle était la nuit des mandrache pendant laquelle s'affrontaient les mazzeri. La pieve de Sorru-in-Sù était directement concernée par ces événements. 

 

Les textes ci-dessous donnent une explication sur le sens de cette date. Les trois premières parties sont tirées du très utile "Almanach de la mémoire et des coutumes de la Corse" écrit par Claire TIÉVANT et Lucie DESIDERI (Albin Michel, 1986). La quatrième partie, consacrée à cette nuit dans notre canton, est inspirée de "Le mazzérisme: un chamanisme corse" de Roccu MULTEDO (Editions L'Originel, 1994). 

Précision préalable: Les mazzeri sont des humains ayant une vie sociale et personnelle mais qui sont considérés par le village comme des êtres surnaturels liant l'au-delà au monde des vivants. Dans la vie courante, les mazzeri sont des êtres pacifiques. On les reconnait à leur regard: ils ne vous regardent pas, mais regardent à travers vous.​ Ils sont capables de dire quels seront les prochains morts de la communauté.

 

LE MOMENT DE LA CANICULE ET DES MAZZERI

"Consécutive au solstice d'été (la Saint-Jean), la canicule marque l'entrée du soleil dans la constellation du Lion (i sulleoni). C'est une période redoutable, porteuse de menaces mortelles pour les animaux, les hommes, les cultures. La nature tout entière est comme embrasée. Tout risque de brûler ou de sécher. Les incendies se déchaînent et, attisés par les vents, se répandent jusqu'à prendre des proportions terrifiantes. La canicule qui tue toute vie est à l'image même des morts, êtres desséchés, affamés, assoiffés, noirs. Cette période, néfaste et dangereuse entre toutes, entame son déclin à la fin du mois de juillet, lorsqu'on entre dans les Calendes d'août. C'est pourquoi cette date est en Corse une date rituelle, et la nuit qui fait passer de juillet à août est investie par des pratiques magico-religieuses destinées à éloigner ce fléau mortel.

 

Dans de nombreux villages, notamment dans le Centre et le Sud, on allume un feu devant le seuil de la maison. Ce feu est appelé focu di i mazzeri (feu des mazzeri). On pose aussi, sur les fenêtres, des ustensiles remplis d'eau. Car, comme à d'autres dates, cette nuit-là, les morts se rapprochent des vivants. Leur présence est redoutée et on s'en protégera de plusieurs manières. (...)"

 

 

LA FÊTE DES MORTS ESTIVALE

"Dans la liturgie, le 1er août est la fête de Saint Pierre-aux-Liens. Cette fête religieuse est venue se superposer à celle qui, à une époque lointaine, était celle des Macchabées. Le 1er août est donc une fête des morts. Elle est symétrique de celle du 1er novembre; elle en est le doublet estival.

C'est dans ce contexte de mort que prennent place les batailles des mazzeri (...).

La nuit du 31 juillet s'engage une bataille contre la mort et la mortalité. Les mazzeri d'un village se regroupent, montent sur le col, ou se rendent à la limite qui sépare leur territoire du territoire voisin, et là, se battent contre les mazzeri de la communauté limitrophe. Les armes qu'ils utilisent dans ces combats sont des tiges d'asphodèle. (...)

L'enjeu de ces guerres végétales est d'importance." (...) 

Dans les villages des vainqueurs, la mortalité de l'année sera faible, et forte chez les vaincus.

Photo de Joan Fontcuberta.

Photo de Joan Fontcuberta.

L'ASPHODÈLE, LA REINE DES BATAILLES

L'asphodèle, appelé en Corse taravucciu, arbucciu. taravellu, luminellu, etc, est une plante bien connue dans les mythologies végétales, depuis l'antiquité grecque. C'est la plante des morts. Elle «pousse dans le royaume des Ombres ». Dans les Enfers et les Champs-Elysées où séjournent les Héros défunts, les asphodèles abondent.

Dans les siècles passés, en de nombreuses régions d'Europe, on en plantait autour des tombeaux car, disait-on, les morts aimaient cette plante et se nourrissaient de ses racines. (...) Elle produit l'abondance et assure l'immortalité de l'âme.

 

On comprend que, pour combattre la pénurie et la mort caniculaires, les mazzeri corses, la nuit du 31 juillet, brandissent l'arme la plus efficace en ce domaine. 

Un plant d'asphodèle

Un plant d'asphodèle

LES MANDRACHE GUAGNAISES

D'après Rocco MULTEDO, qui reprend des travaux de Dorothy CARRINGTON, les assemblées de mazzeri ont lieu de préférence le samedi. La bataille annuelle qui se déroule dans la nuit du 31 juillet s'appelle une mandraca.

 

Elle voit s'affronter deux groupes masqués en animaux et formés en milizie avec chacune un capitaine élu. Les deux camps viennent de deux communautés voisines et s'affrontent sur le col qui sépare celles-ci. Après avoir poussé des "cris effrayants", ils se battent à coup de tiges d'asphodèles jusqu'à la fuite d'un groupe ou l'arrivée du jour. Les asphodèles et les bâtons utilisés finissent dans un grand feu.

Illustration extraite de "50 documents pour une culture corse" édité en 2016 par CANOPÉ de Corse.

Illustration extraite de "50 documents pour une culture corse" édité en 2016 par CANOPÉ de Corse.

Notre canton étant quasiment enclavé dans la montagne, plusieurs mandrache se déroulent, ce qui laisse supposer que les batailles n'avaient pas toutes lieu la même nuit:

- Soccia contre Casamaccioli dans le Niolu

- Guagnu contre Vivario au col de Manganellu 

- Guagnu contre Venacu et Corti au col de Virdiola, près d'un ancien cimetière

 

La plus importante était la confrontation entre Guagnu et Pastricciola, au col de Missicella, à 1.191 mètres d'altitude. Ce lieu, qui a longtemps permis aux bergers de passer de Sorru-in-Sù aux pièves de Cruzzini et Cinarca, est particulièrement stratégique pour les mazzeri.

CLIQUEZ SUR LA CARTE POUR L'AGRANDIR.

CLIQUEZ SUR LA CARTE POUR L'AGRANDIR.

N'allez surtout pas à Missicella les 31 juillet et 1er août. De toute façon, évitez de sortir cette nuit-là.

Des esprits forts peuvent dire que les mazzeri ont quasiment disparu et que les mandrache ne sont plus organisées. Mais peut-on en être certain? On murmure quelques noms d'initiés à Poggiolo, Soccia, Orto et Guagno. 

Il vaut mieux être très prudent.

Réalisé à l'occasion d'une chasse au sanglier, le film suivant  montre ce qu'est le col de Missicella et les paysages qui l'entourent.

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  • : Le blog des Poggiolais
  • : blog consacré à Poggiolo, commune de Corse-du-Sud, dans le canton des Deux-Sorru (autrefois, piève de Sorru in sù). Il présente le village, ses habitants, ses coutumes, son passé et son présent.
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Accroché à la montagne, pratiquement au bout de la route qui vient d'Ajaccio et de Sagone, POGGIOLO est un village corse de l'intérieur qui n'est peut-être pas le plus grand ni le plus beau ni le plus typé. Mais pour les personnes qui y vivent toute l'année, comme pour celles qui n'y viennent que pour les vacances, c'est leur village, le village des souvenirs, des racines, un élément important de leur identité.
POGGIOLO a une histoire et une vie que nous souhaitons montrer ici.
Ce blog concerne également le village de GUAGNO-LES-BAINS qui fait partie de la commune de POGGIOLO.
Avertissement: vous n'êtes pas sur le site officiel de la mairie ni d'une association. Ce n'est pas non plus un blog politique. Chaque Poggiolais ou ami de POGGIOLO peut y contribuer. Nous attendons vos suggestions, textes et images.
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