Sauf pour les touristes qui la voient pour la première fois, la statue de Mgr CASANELLI d'ISTRIA dressée sur la place de Vico, ne fait guère réagir, tant elle fait partie du décor.
Pourtant, son inauguration, en 1887, fut au centre d'une grande polémique.
Le récit en a été fait par Paul SILVANI dans un article paru dans La Corse-Hebdo du 26 novembre 2010. Il fut repris par le bulletin INSEME qui, dans son numéro de février 2011, lui consacra trois pages. Elles peuvent être lues sur le site de INSEME mais nous vous proposons ici la plus grande partie de ce texte.
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Le 23 novembre 1887, à 19 h, « la charmante petite ville de Vico offre un coup d’œil des plus pittoresques », raconte Le Journal de la Corse, qui explique que la famille CASANELLI arrive d’Ajaccio, précisant que les cloches sonnent à toute volée, « prélude de la fête », et qu’en même temps, « de nombreux coups de boîte sont tirés sur la place publique ». Qu’étaient ces coups de boîte ? Des explosions sans danger provenant de petits mortiers.
Il y avait déjà foule, tant il est vrai que les voitures de louage, tirées par des chevaux qui n’en pouvaient déjà plus, mais étaient arrivées de tous les points de l’île. Du col de Saint-Antoine, la foule dense contemplait le spectacle : « les feux nombreux qui avaient été allumés aux fenêtres des maisons scintillaient dans la nuit, comme autant de vers luisants, et Vico, profondément enfoncée au pied de la Cuma, ressemblait vue de haut à un coin de firmament constellé d’étoiles ».
Une grande animation a régné toute la nuit dans les rues de la ville, entretenues pour la circonstance sans un état de propreté parfait, « ce dont nous félicitons le Comité, et cela avec d’autant plus d’empressement que c’est le seul compliment que nous puissions lui adresser », était-il perfidement ajouté.
LA FUGUE DE L'ÉVÊQUE
Pour le reste, on en était en effet au blâme. Qu’en en juge : l’évêque Paul-Mathieu de la FOATA, qui avait succédé en 1877 à Mgr François-Xavier de GAFFORY, s’était donc rendu à Vico ce même samedi soir pour présider la cérémonie du lendemain, c’est-à-dire l’inauguration de la statue de Mgr Xavier-Toussaint-Raphaël CASANELLI d’ISTRIA, l’un des grands prélats insulaires et prestigieux enfant du pays. (…)
Buste de Paul-Matthieu de la FOATA dans son village natal d'Azilone.
Voici l’évêque arrivé à Vico. Mais le maire CACCAVELLI, président du Comité de souscription, n’est pas là pour le recevoir et le conduire jusqu’au couvent Saint-François où il va passer la nuit. Il en conçoit de l’humeur et il quitte Vico sans attendre, regagnant Ajaccio par la route d’Arbori. Le lendemain matin, il est évidemment absent de la messe et l’inauguration de la statue se fait sans lui.
« Les uns disent que c’est parce que Mgr de la FOATA a été froissé du manque de déférence qu’on a eu à son égard : ni le maire, ni une délégation du comité n’étaient allés lui présenter leurs hommages », écrit le journal. « Si c’est là la raison qui a été la cause de la fugue de l’évêque, il faut reconnaître qu’elle est puérile et qu’il a obéi à un excès de susceptibilité. D’ailleurs, en acceptant de présider la statue d’un de ses prédécesseurs, il ne devait avoir qu’un objectif, s’associer à une manifestation de pieuse vénération à l’égard de l’évêque CASANELLI sans se préoccuper de sa personne. Il était venu à Vico pour rendre les honneurs et non pour en recevoir ».
« Si donc Mgr de la FOATA a quitté Vico parce que le comité n’est pas allé en corps lui baiser l’anneau, il n’a pas bien fait de partir. Au contraire, il a très mal fait de ne pas rester. Mais », conclut le quotidien ajaccien, « nous sommes en mesure de pouvoir affirmer que tel n’a pas été le motif du départ ».
Pour le rédacteur, la rumeur n’était qu’un prétexte. Car on avait soufflé à l’oreille du crédule évêque que les républicains de Vico allaient le siffler, parce qu’il n’avait pas favorisé l’œuvre de la statue. Dans ce cas, s’est-il dit, les bonapartistes vont vouloir me défendre. Un conflit sanglant est inévitable : « le mieux est de déguerpir et l’évêque a fait baluchon ». Il est vrai que l’on était entré dans la période de la séparation de l’Église et de l’État… Conclusion de l’organe républicain qui soutenait Emmanuel ARÈNE, lequel n'avait pas pu venir : « si peu sérieuses que soient les raisons de la détermination regrettable prise par Mgr de la FOATA, elles ne doivent étonner personne quand on saura que précisément l’évêque cherchait un prétexte quelconque pour ne pas assister à la cérémonie. Il était en effet honteux de n’avoir pas souscrit, d’avoir empêché le clergé de souscrire. Il craignait la colère du Conservateur dont il désapprouvait ainsi les attaques fielleuses dirigées contre le monument CASANELLI. » (…)
« Quoi qu’il en soit, en se dérobant aussi grossièrement à l’accomplissement de son devoir (mais pourquoi avait-il accepté la présidence de l’inauguration ?), l’évêque d’Ajaccio n’a pas seulement fait injure au comité de Vico, mais à toute la population qui se trouvait dans cette commune le 24 octobre. Le public appréciera ». Les journaux d’Ajaccio ne se sont pas gênés pour dire leur appréciation : « Un scandale, une inauguration laïque » pour Le Conservateur, « l’évêque a très bien fait de partir » pour Le Réveil.
UN BANQUET SIGNÉ GUIDON
Quoi qu’il en ait été, les cérémonies s’étaient déroulées sans autre incident ce dimanche pluvieux. Tout le monde s’était groupé autour de la statue, due au ciseau de Vital DUBRAY, à qui on devait déjà celles du cardinal FESCH, du général ABBATUCCI et les stèles du monument consacré à Napoléon Ier. Mgr CASANELLI est représenté debout, levant la main pour bénir ses ouailles. « Il y a l’élan du prêtre et la tendresse du père pour bénir ses enfants, le sourire aiguisé mais doux, c’est la malice d’un esprit pétillant nourri à Rome de la science sacrée, élevé dans les traditions de cette diplomatie de la cour pontificale, la première pour la finesse, écrit Le Journal de la Corse. On sent, on devine que le saint homme vient de marcher et qu’il s’est arrêté, pour bénir, avant de reprendre sa marche ».
A neuf heures, avait été dite la messe solennelle, rehaussée par la présence de la musique municipale d’Ajaccio. Ensuite, le président du comité, M. CACCAVELLI, lève le voile qui recouvrait la statue et prononce son discours. Puis le foule entend le chanoine SALICETI, l’abbé NIVAGGIOLI, curé de Cannelle, S. VILLANOVA, directeur du Petit Ajaccien, et CRISTINACCE, ancien juge de paix. A 13, heures, un banquet en plein air préparé par Elie GUIDON, l’inventeur de la terrine de merle, est servi au couvent. Au dessert, autres discours : l’abbé CASANELLI, le prince de BEAUFFRÉMONT, président d’honneur du comité, l’abbé FILIPPINI, curé de Letia, auteur d’une poésie en langue italienne, Ange MURACCIOLI, rentier, MAGLIOLO, architecte, et PAOLI, instituteur à Vico.
Pour terminer les agapes, on gonfle (à l’esprit de vin !) le ballon-montgolfière qui va s’envoler de la place, mais il s’embrase et le feu se communique aux mèches des verres destinés à l’illumination du soir : « En un instant, un serpent de feu ondule le long des cordes et des corniches, donnant ainsi le spectacle assez rare d’une illumination en plein jour ».
Sur son piédestal, l’évêque CASANELLI d’ISTRIA demeure impassible. Il l’est resté.
Carte postale des années 1970.