Si l'agression de Guagno-les-Bains, en août 1931 (voir ici), fut la goutte d'eau (ou de sang) qui fit déborder le vase, il faut reconnaître que le banditisme en Corse, et notamment dans notre micro-région, bénéficiait à cette époque (entre les deux guerres mondiales) d'une énorme caisse de résonance constituée par la presse de l'époque.
Comme la mode des cow-boys commençait à se répandre dans les magazines pour jeunes et sur les écrans de cinéma, les bandits corses étaient facilement assimilés aux outlaws et desperados du Texas ou de l'Arizona.
Pour le prouver, il suffit de regarder "Le Petit journal illustré". Créé en 1884 pour concurrencer "L'Illustration", le supplément du dimanche du "Petit Journal" faisait la part belle aux faits divers, aux têtes couronnées et aux scandales qui remplissaient la Une. Une illustration pleine page en couleur ouvrait et fermait chaque numéro.
Ainsi, la mort de Nonce ROMANETTI, dans le numéro du 9 mai 1926, est montrée comme celle d'un cow-boy tué lors d'un duel dans les Montagnes Rocheuses.
Quant au texte qui se trouve à l'intérieur, il insiste sur "les étonnantes aventures où il se trouva audacieux ou fantaisiste, généreux ou chevaleresque". En conclusion, il "n'avait donc rien du bandit vulgaire. C'était, en somme, une sorte de "hors la loi" qui s'était créé une morale particulière et un idéal de justice selon ses idées".
Petit détail: l'embuscade dans laquelle périt ROMANETTI eut lieu la nuit, ce que ne suggère pas du tout cette image.
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Avec le numéro du 1er juin 1930, les lecteurs eurent même droit à l'image d'une attaque de diligence ou, du moins, d'une "auto postale".
Il s'agit de l'attaque, par André SPADA et ses complices, de l'auto postale assurant le service entre LOPIGNA et AJACCIO.
Le 18 mai 1930 au matin, près de SARI d'ORCINO, un tronc d'arbre et des pierres barraient la route, indique le journal. D'après Lucia MOLINELLI-CANCELLIERI, dans son livre "SPADA, dernier bandit corse", ce fut au lieu-dit Casaloro, à quatre kilomètres de LOPIGNA, avec un barrage de "deux grosses pierres, calées par des pierres plus petites". L'image montre quatre agresseurs et le texte d'accompagnement en cite cinq. En fait, André SPADA était simplement accompagné par son frère Bastien (d'après Lucia MOLINELLI-CANCELLIERI). Les gendarmes ADAM et HERVÉ, ainsi que le convoyeur Jean-Vitus RICCI, furent tués dans l'échange de coups de feu. Le troisième gendarme, ABADIE, était grièvement blessé. Les autres passagers purent s'enfuir alors que les bandits tentaient, sans y parvenir, d'incendier le véhicule.
La raison de cette tragédie? La concession du service postal d'Ajaccio à Lopigna dont ROMANETTI avait été le bénéficiaire par personnes interposées. SPADA en avait repris l'héritage. Le contrat arrivant à expiration, l'administration des Postes l'avait accordé à François SORBA, maire de LOPIGNA, et à son demi-frère RICCI le 27 avril 1930. SPADA voulait récupérer ce qu'il considérait comme son bien.
"Après le drame, le service postal fut interrompu pendant six mois. Nul n'osait plus enfreindre les ordres de SPADA et les facteurs assuraient à pied tant bien que mal le transport du courrier. Puis on apprit le 17 novembre 1930 qu'un certain Jules MALANDRI avait obtenu de l'administration des postes l'adjudication du service. MALANDRI n'était autre que le prête-nom choisi par SPADA" (d'après Lucia MOLINELLI-CANCELLIERI).
Le crime avait payé malgré l'émoi causé par le triple assassinat de LOPIGNA. Il fallut attendre un an de plus pour que l'attaque de GUAGNO-les-BAINS provoqua la réaction gouvernementale dont il sera fait l'historique prochainement sur ce blog.
A suivre:
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