Bertrand Cervera dans "Corse-Matin" mardi 24 juillet.-
Le premier violon du festival Sorru in musica évoque cette 15e édition, forcément particulière pour l’artiste. À l’heure où, plus que jamais, rives et horizons ont besoin de se rapprocher
Samedi, la veille du lancement de Sorru in musica, vous jouiez à Londres au Royal Albert Hall. Bien atterri ?
Nous avons joué la 9e symphonie de Beethoven avec le World orchestra for peace, sous l’égide de l’Onu et de l’Unesco, avec des musiciens du monde entier. C’était un concert très symbolique, dans un contexte très particulier pour le Royaume-Uni (en pleine procédure Brexit, ndlr), pour l’Europe confrontée à la crise des migrants et même pour le monde. C’est une manière de se rassembler. Nous avons terminé à 22 heures hier soir (samedi, ndlr) avant un lever ce matin (dimanche, ndlr) pour être ici dans la journée. On passe d’un monde à l’autre sans arrêt, on finit par trouver ça normal. Une chose est certaine, lorsque je reviens ici, je reviens à la maison et je partage cela avec mes amis et ma nouvelle famille du festival.
Ce festival existe depuis 15 ans désormais, comment voyez-vous son évolution ?
Nous voulions rendre les gens plus proches les uns des autres. Nous nous sommes servi de la musique pour cela. Elle est anecdotique là-dedans, on voulait avant tout que des gens de tous horizons se rassemblent. Et peu à peu, les gens l’ont créé eux-mêmes, ce festival, en venant, en le suivant. La programmation est importante mais beaucoup viennent sans savoir ce qui va être joué. Et c’est cela le plus beau. Ils sont là pour participer à quelque chose, sans hiérarchie intellectuelle. Chacun est là pour recevoir ce qu’il veut. On en profite, car on sait que tout peut s’arrêter du jour au lendemain.
Pour quelles raisons ?
Parce que tout est gratuit, nous demandons des subventions uniquement dans ce but. Si elles ne sont pas à la hauteur de ce que l’on demande, tout est mis en péril. L’important est d’arriver à zéro à la fin de l’année en ayant payé tout le monde, les prestataires, tous ceux qui aident à la réalisation de ce festival. Nous n’avons aucune réserve, alors tout cela est fragile. Depuis 15 ans, tout le monde joue le jeu mais à l’heure où je vous parle, par exemple, nous n’avons aucune réponse officielle pour les aides dévolues à notre festival. Je n’ai pas d’inquiétude, nous sommes suivis. On a créé un réseau avec les vins de Corse, la cinémathèque de Corse, l’Aria de Robin Renucci.
Je crois au sillon culturel, le fait de mélanger les genres, les gens et les mondes, cela ne peut qu’ouvrir l’esprit et cela ne peut que nous mener à la paix. C’est le plus important. C’est pour cela que l’on a un atelier de langue et culture corse au festival et un atelier de musique traditionnelle, pas parce que c’est à la mode mais parce que nous le faisons depuis 15 ans. Quand un gamin du continent, de Corée ou des États-Unis se retrouvent ici, ils dansent le quadrigliu et chantent de la polyphonie. Et quand ils rentreront chez eux, ils auront une image ouverte de la Corse et inversement lorsque nos enfants écoutent ces jeunes parler de leur pays. Les vieux, c’est foutu. Donc il faut qu’on s’attaque aux jeunes, c’est avec eux que l’on fait un véritable travail pour demain !
Qu’espère-t-on pour cette 15e édition ?
Un caractère de plus en plus festif, vraiment. C’est pour cela que l’on poursuit la musique de film cette année, que l’on fait des percussions et que l’on réserve une belle surprise également à notre public. La vie n’est pas joyeuse tous les jours et il faut que cette parenthèse enchantée qu’on aura créée dure toute l’année. Ici, au village, des gens se retrouvent l’hiver pour parler du festival. La crise des migrants, le renfermement sur soi, il y a des choses terribles qui se profilent. J’ai perdu mon frère cette année et j’ai envie que l’on soit particulièrement heureux. On veut vivre.
Le contexte international a façonné votre programmation ?
Forcément, bien sûr. Il ne faut pas oublier non plus que ce sont les 100 ans de la fin de la première guerre mondiale. Il y a eu des millions de morts et certains seraient presque ravis aujourd’hui que l’on s’étripe à nouveau. C’est cyclique. Être "contre" ou "anti" n’a aucun sens. Nous, nous sommes pour. Que les vibrations continuent de nous transpercer. On ne vit que grâce aux vibrations des autres. Je le répète : éducation populaire, éducation populaire, éducation populaire.