Les vacances permettent de profiter des belles journées d'été. Mais il y eut des étés qui durèrent peu car la guerre s'imposa. Ce fut le cas en 1870, en 1914 et en 1939. Le début de la deuxième guerre mondiale a déjà été évoquée l'an dernier sur ce blog.
Pour ce qui fut appelée "la Grande Guerre", la façon dont son déclenchement fut perçue à Poggiolo est bien montrée par l'exemple de Jean LOVICHI, grâce à un texte de Romain DURAND.
La publication de ce texte sur le blog Poggiolo est également une manière de rendre hommage à la mémoire de Romain DURAND qui est décédé le 17 juillet dernier à l'âge de soixante-dix neuf ans et demi.
Petit-fils du sous-préfet Charles LOVICHI, Romain DURAND, après une importante carrière de directeur financier, a été membre
de l'Académie des Sciences Morales, des Lettres et des Arts de Versailles.
Il a fait des recherches importantes de généalogie (sur GENEANET, son arbre comporte 3344 noms) et d'histoire sociale et militaire. Dans son étude "Soldats par habitude, Etre soldat de 1720 à
1920", il évoque son héroïque oncle Jean dont le nom est gravé sur le monument aux morts de Poggiolo. Il n'était plus retourné au vilage depuis très longtemps mais il
avait récemment réactivé ses recherches poggiolaises car, écrivait-il modestement, "sur mon 25% corse, j'ai tout à apprendre".
Pour comprendre cet émouvant texte sur Jean LOVICHI et Poggiolo en 1914, il faut savoir que, suite à l'assassinat d'un archiduc autrichien à Sarajevo, un mois plus tôt, le 28 juin 1914, le gouvernement français décrèta la mobilisation générale samedi 1er août à 16 heures, avec effet le dimanche 2. Tous les clochers de France firent entendre un sinistre tocsin. L'Allemagne déclarera la guerre à la France le 3 août.
"Jean est né à Constantine en 1893. Son père, Charles, est en 1914 administrateur civil de la commune de l'Edough, avec résidence à BÔNE; sa mère Odile était professeur de lettres. Aîné et seul garçon d'une famille de quatre enfants, l'éducation de Jean avait été conduite avec un soin extrême. Il avait fait de brillantes études au lycée de Constantine avant de faire sa philo au lycée Henri IV dans la classe d'Emile CHARTIER, dit ALAIN. Sans la guerre, il aurait probablement été le plus jeune agrégé de philosophie de France. (..)
En juillet 1914, la famille est en Corse, comme chaque été. POGGIOLO est loin à l'intérieur des terres, entre le golfe de SAGONE et le golfe de PORTO. Charles LOVICHI n'est pas là; les membres de l'administration algérienne sont restés à leur poste dans l'attente des événements. Odile, qui reçoit régulièrement les journaux, s'inquiète. Jean, pacifiste juvénile, ne veut pas croire au pire. Le dimanche 2 août, en revenant de SOCCIA avec les boules de pain frais, madame LOVICHI et ses deux filles remarquent une agitation insolite. Tout le monde est dehors, parlant de mobilisation et de guerre. On court au-devant d'Odile dans l'espoir qu'elle donnerait des explications. Une vieille cousine qu'on ne voyait jamais au grand jour, diaphane sous le fichu noir, demande: "Oh! Odile! Ils seront avec nous les Français cette fois?".
Au village, on se rappellera longtemps avoir vu Jean LOVICHI remonter de la rivière en pleurant son idéal trahi. On ne le comprenait pas bien, mais on lui passait tout. Bientôt, de SOCCIA, de POGGIOLO, de GUAGNO, d'ORTO, chantant les vieux refrains guerriers de la Corse, les mobilisés descendaient d'un pas vif, la musette au côté, pressés de rejoindre les tirailleurs, les zouaves, les alpins, la coloniale pour se distinguer dans la grande épreuve. Odile ordonna qu'on refit les bagages. La route de BÔNE pouvait être perturbée par les navires allemands (elle le fut en effet), et il n'y avait pas de temps à perdre."