Un tournant important de l'histoire corse se produit en 1453 quand
la Sérénissime République de Gênes cède ses droits sur l'île à une banque privée: l'Office de Saint Georges. Cet organisme va utiliser les moyens les plus brutaux pour s'imposer.
Le piège de Vico
En 1459, exaspéré de l'agitation persistante en Cinarca, l'Office envoie Antonio
Spinola comme commissaire extraordinaire. Celui-ci invite les familles de Leca et della Rocca à un
festin de réconciliation à Vico. Une fois arrivés, 23 d'entre eux sont arrêtés et exécutés, décapités ou pendus. Seul, le jeune neveu de Raffé, Giovan Paolo de Leca, né en 1445, échappe au traquenard.
Giovan Paolo, de la collaboration à la
révolte
Ce même Giovan Paolo s’affirme ensuite dans les années 1470 comme le plus
puissant des Cinarchesi. En se soumettant d'abord à l’Office, il domine un vaste territoire qui s’étend de la Cinarca à
la Balagne.
Mais en 1486, il rentre en révolte ouverte avec ses bienfaiteurs et se fait proclamer
comte de Corse lors d'une "veduta" en janvier 1487. Il se heurte à son cousin Rinuccio della Rocca qui se met du côté des Génois. Une armée de 1.500 fantassins, avec 18
chevaux et des canons (peut-être les premiers à avoir été utilisés en Corse) débarque à Sagone le 1er avril 1487. Elle est commandée par le Français de FALCON et le Génois Damiano CANAZZO. Le 31 mai, le château de Cinarca, assiégé depuis le 5 mai, capitule. Vico tombe en
juin, puis, en octobre, les châteaux de Leca, Arbori et Sia. Dès septembre, Giovan Paolo s'est
exilé en Sardaigne.
Giovan Paolo haranguant ses partisans ("Mémorial des Corses", tome
1)
La guerre de
1488-1489
En août ou septembre 1488, Giovan Paolo revient et retrouve Rinuccio qui s'est réconcilié
avec lui et qui a construit le château de Zurlina, près de Murzo et en face de Letia. Le Génois Ambroggio de Negri débarque
à Bastia à la mi-octobre et arrive à Vico dès le 28 octobre.
Giovan Paolo et Rinuccio, d'abord présents à Sari
d'Orcino, gagnent Murzo puis passent à l'attaque. De Negri est assiégé au château de Cinarca. Les 300 hommes de renforts qu'il attendait, commandés par
Andrione, capitulent à Bocognano. Ces prisonniers, ne pouvant être gardés, sont envoyés désarmés à Bastia, puis à Calvi. Là, ils se joignirent aux nouveaux renforts commandés par
Filippino de Fieschi. Rinuccio, battu le 10 février 1489 à Arro, se réfugie dans la place de la Zurlina. De Negri entre à Vico
le 12 mars (d'après "Archives de St Georges", dans "Corse historique", 1er et 2ème trimestres 1962).
"Une partie de l'armée génoise, conduite par Filippo Fieschi, attaque le castellu de
Foce d'Orto, simple petit col, situé au nord-est de Piana, que Giovan Paolo avait fait fortifier à la hâte à la fin de 1488. Située entre des aiguilles rocheuses
jugées inaccessibles, cette place-forte, défendue par une quarantaine de ses parents et de ses partisans les plus fidèles, tombe en deux heures, le 29 mars, alors qu'elle paraissait inexpugnable.
Un détachement de vingt-cinq hommes, conduit par un cousin de Giovan Paolo de Leca qui lui était hostile, prend en effet les occupants à revers après avoir emprunté un itinéraire périlleux en
surplomb. Seuls deux défenseurs parviennent à se soustraire aux attaquants et avoir la vie sauve, selon la chronique. Certains meurent au cours de cet engagement ; une vingtaine d'autres sont
exécutés après avoir été capturés." (site http://www.corse.culture.gouv.fr/inventaire/publications/2sevi/2sevi-3.htm).
Découragé et attiré à Vico par la promesse de Filippino de Fieschi
de lui permettre de retrouver son fils Francesco, prisonnier des Génois, Rinuccio capitule et
quitte la Zurlina le 29 avril. Il est envoyé à Gênes et y meurt en prison en juin ou juillet. En octobre, Giovan Paolo s'exile en
Sardaigne.
Dès l'été, les Génois appliquent sauvagement la politique de
disabitazione qui vise à détruire les villages cinarcais et à déporter leurs populations. Poggiolo en est victime. Un prochain article décrira les ravages génois
dans notre piève.
L'emblématique château de Cinarca est détruit en 1494-1495.
1501, la dernière tentative
Giovan Paolo revient en Corse en 1498 et connaît un échec
rapide face au même Ambroggio de Negri.
Il fait une nouvelle tentative au début de l'année 1501. Il débarque à Aleria avec
une dizaine d'hommes et traverse l'île pour retrouver les Deux Sorrù, tout en ralliant des partisans grâce à son réel charisme.
"Avec deux cents hommes environ, prenant la route de Vico, il arriva au
point du jour et fit mettre à sac quelques boutiques de marchands génois qui y négociaient" (Marc Antonio CECCALDI, "Histoire de la Corse (1464-1560)", traduction et notes par
Antoine-Marie GRAZIANI).
Une lettre existant dans les Archives de St Georges prouve qu'il se trouve à
Soccia le 19 mars.
Les effectifs de ses troupes atteignent 7.000 hommes et 200 cavaliers, recrutés dans les
villages dévoués des Deux Sorrù (et donc sûrement à Poggiolo). Mais l'arrivée de l'été et des moissons entraîne de nombreuses désertions
de ces soldats-paysans. Il doit alors se replier sur le château de la Zurlina (certains, comme François-Guillaume ROBIQUET, dans "Recherches historiques et statistiques sur la Corse" écrites en 1831, parlent de la Forcina, juste au-dessus). Le site était inexpugnable mais les Génois font prisonnier son fils Orlando
entre Murzo et Vico (où il se rendait pour une intrigue amoureuse). Giovan Paolo capitule de nouveau et repart en Sardaigne. Il décéda à Rome en
1516.
Avec sa mort et celle de Rinuccio della Rocca en 1511, disparaît la dernière grande maison féodale de l’île et
s'achèvent les guerres cinarchese.
L'ordre génois règne.
(à suivre)