La question de la laïcité revient de plus en plus souvent au premier plan de l'actualité, qu'il s'agisse de l'hésitation du président de la République à saisir le goupillon pour bénir le cercueil de Johnny Hallyday ou de diverses décisions judiciaires sur la présence ou non d'une crèche ou d'une croix dans des lieux publics.
L'application de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat (voir "La laïcité en action dans les Deux Sorru") n'est pas toujours conçue de la même façon.
Avant cette date, de telles questions ne se posaient pas. Certains documents en conservent de curieuses traces, comme ce fut le cas à Poggiolo en 1885.
Le registre d'état-civil de cette année-là a noté la découverte d'un enfant abandonné.
Tous les documents qui suivent peuvent être agrandis en cliquant sur leur image.
Le 15 mars 1885, DESANTI Jules Martin Marie, qui fut maire de Poggiolo de 1880 à 1888, a vu arriver à "la maison commune" Joseph COLONNA, habitant Guagno-les-Bains, pour lui présenter un bébé de sexe masculin. Il déclara "l'avoir trouvé à la porte de sa maison dans la nuit du treize au quatorze mars. Le père et la mère sont inconnus".
Nous avons là un exemple typique d'abandon d'enfant, dont la littérature a souvent donné des exemples jusqu'au début du XXème siècle.
Mais, ici, il s'agissait d'un être en chair et en os.
Que fit alors le maire?
Une inscription à l'état-civil?
Oui, mais tout d'abord un baptême !
Jules DESANTI écrit en toutes lettres sur le registre officiel: "nous lavons fait Baptisé".
L'apostrophe manquant à "lavons" a été rajoutée au dessous du mot. Quant à "Baptisé", il aurait fallu écrire "baptiser". Mais ce sont des détails.
Pour un chrétien, le salut de l'âme est primordial. Et, surtout à cette époque, il fallait baptiser rapidement pour faire partie de l'Eglise et effacer le péché originel. Or, les chances de vie terrestre étaient faibles pour un nouveau-né abandonné dans la nuit.
Le maire a rapidement organisé la cérémonie. On peut supposer qu'il a fait quérir le curé, à moins qu'il n'ait emporté le nourrisson au presbytère. Nous ignorons si le baptême a eu lieu sur les fonts baptismaux de l'église Saint Siméon.
Fonts baptismaux de St Siméon.
De même, nous ignorons l'identité du parrain et de la marraine. Il est vrai que, dans les cas d'extrême urgence, on peut se passer de ces deux personnes. Or, l'enfant pouvait passer à tout instant de vie à trépas. Il faudrait pouvoir consulter les registres paroissiaux pour avoir des renseignements plus précis.
Il fallait aussi donner une identité à cet enfant trouvé. Le maire écrit donc: "nous lui avons donné les prénoms de Desanti saint antoine Bains de Guagno" (nous avons respecté les majuscules et les minuscules employées dans le registre).
Le premier prénom, qui devint son nom officiel, est tout simplement celui du maire. Le reste de sa nouvelle identité faisait référence au saint protecteur du village où il avait été trouvé.
Jules DESANTI n'en était pas à sa première déclaration d'enfant trouvé. Six mois auparavant, le 7 octobre 1884, GROS Pierre, habitant lui aussi à Guagno-les Bains, lui avait présenté un enfant de sexe masculin qu'il avait trouvé devant sa maison à cinq heures du matin. Le maire lui avait donné "le nom de BOURGAMANO et les prénoms de françois bains de Guagno". Il avait alors bien fait la distinction entre nom et prénoms. Le choix de BOURGAMANO reste obscur. Mais, grosse différence, il n'est pas fait mention de baptême en 1884.
Pourquoi l'acte religieux a-t-il été noté en 1885? Même si la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'intervint que vingt ans plus tard, l'état-civil était laïc depuis la Révolution.
Est-ce une erreur du maire qui avait peut-être fait procéder au baptême pour BOURGOMANO mais qui fut certainement pris par l'émotion pour l'enfant suivant?
Ces deux actes posent une infinité de questions.
Si BORGOMANO n'apparaît plus dans aucun acte officiel, même dans les décès, il existe quelques renseignements sur ce que devint DESANTI Saint Antoine.
La partie finale de ses prénoms "Bains de Guagno" ne semble plus usitée. Le registre des matricules militaires le mentionne comme "né à Guagno", au lieu de Guagno-les Bains, avec la profession de "cultivateur". La partie consacrée à la filiation porte la mention "enfant assisté". Ses véritables parents n'ont jamais été identifiés et il fut confié à l'Assistance publique. Dans quelle village et dans quelle famille?
Le registre signale qu'il fut condamné en 1903 par le tribunal d'Ajaccio "pour violences et voies de fait à 10 mois de prison". Mais il fut amnistié et il incorpora l'armée le 7 octobre 1906.
Bénéficiant d'une permission, il se rendit à Guagno (le village, pas les Bains). Peut-être est-ce là qu'il avait été élevé?
Mais le 30 décembre 1906, deux cantonniers guagnais vinrent déclarer à la mairie le décès de Saint Antoine la veille 29 décembre.
L'enfant baptisé grâce au maire de Poggiolo avait rendu son âme à Dieu.