Témoignage écrit par Michel FRANCESCHETTI
Voici un demi-siècle, l’exercice le plus redouté au premier trimestre par les élèves était la rédaction (ou
composition française) portant sur les vacances. Il fallait expliquer ce qui avait plu ou déplu, raconter un moment heureux ou triste, décrire une personne dont on avait fait la connaissance en
été...
Mais ce pensum peut s’avérer être également un document historique.
Sans vanité mal placée, le devoir que j’ai rédigé en décembre 1963 peut être classé dans cette catégorie car il
permet de reconstituer une partie de la vie de Poggiolo voici cinquante ans.
Cette série de huit articles aura donc un ton très personnel, avec l'emploi de la première personne du singulier
et l'utilisation de nombreux souvenirs familiaux.
(plaque photographiée en 1967)
Elève de 3ème IV dans ce qui était alors le lycée Pierre Puget de Marseille (202 rue Paradis), j’ai rendu le 9 décembre 1963 à M. Maurel, mon professeur de Français, le devoir qui répondait au sujet suivant:
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Au cours d’un séjour dans un village assez isolé vous avez l’occasion de ressentir vivement
le contraste entre la ville et le village aussi bien en ce qui concerne les choses que les êtres. Faites ressortir d’une manière vivante et en choisissant les détails caractéristiques
l’impression dominante que produit sur vous la vie rurale et les différences qui vous frappent le plus avec la vie à Marseille. Dites quelles réflexions cela vous inspire et le genre de vie que,
finalement, vous préférez.
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Ce sujet donnait un cadre très strict et pouvait être traité à partir d’un lieu imaginaire mais j’écrivis
le devoir à partir d’expériences réelles.
La classe ayant repris depuis deux mois et demi (les vacances avaient duré cette année-là du 29 juin au 23
septembre, et il n'y avait pas d'interruption pour la Toussaint), les souvenirs n’étaient peut-être pas parfaitement frais et ils furent adaptés au sujet. Ce sujet donnait un cadre strict sur le
“contraste” et “les différences” entre ville et campagne. Il ne demandait pas une simple description mais il voulait une argumentation.
Le devoir tient sur 4 pages petit format, ce qui faisait 3 pages de rédaction ou 58 lignes.
Dans cette série d'articles, nous allons en suivre le texte et en retirer les divers renseignements sur le
Poggiolo de 1963, le Poggiolo d'il y a cinquante ans.
Ma rédaction débute ainsi:
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Chaque année, je passe mes vacances dans un petit village de Corse situé assez loin des
routes importantes.
(fin de la première page)
Il se nomme Poggiolo.
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Mon premier séjour en Corse eut lieu le 13 août 1950 (j'avais alors huit mois) mais je ne suis pas venu "chaque année". En réalité, j'étais à Poggiolo lors des étés 1961 et 1963 mais pas en 1962, ni ensuite en 1964. A partir de 1965, chaque été se passa au village.
La seconde page commence ainsi:
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Cette année, pendant les grandes vacances, je me promenais dans les rues de Poggiolo
quand, tout à coup, je pensai à mon appartement de Marseille. Je vis immédiatement les énormes différences qui séparaient un petit village isolé d’une grande
ville.
A Poggiolo, les maisons sont faites, pour la plupart, de grosses pierres mêlées à un peu
de ciment et sont moins solides que nos immeubles modernes.
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Avec 50 ans de recul, on a pu vérifier que la solidité des immeubles
modernes était très relative. L’immeuble du quartier d'Endoume, dans lequel je vivais avec ma mère Marie et mes deux sœurs Monique et Marie-Claude, avait alors onze ans d’existence. Il existe
toujours (voir ci-dessous photo de gauche extraite de Google Street View) mais il a peut-être moins bien vieilli que les maisons corses (à droite, maison Martini).
Cette réflexion est caractéristique de l’illusion du progrès dans laquelle baignait alors la France prospère des “trente glorieuses” qui s'urbanisait à toute allure.