Pour reconstituer le passé des Poggiolais, comme de toute communauté, quand il n'existe plus de témoins, on se sert de documents. Mais encore faut-il qu'ils ne soient pas erronés. Même des papiers officiels peuvent comporter des erreurs.
Après la seconde guerre mondiale, des dossiers furent ouverts pour attribuer le titre de résistant aux Français ayant lutté contre l'occupation allemande. Ils sont consultables au Service Historique de la Défense à Vincennes où ils ont été rassemblés.
On peut y trouver une attestation officielle attribuée le 9 juillet 1946 à Philippe FRANCESCHETTI, né à Poggiolo et résidant au 102 boulevard Chave, à Marseille.
Ce papier est tout à fait officiel et sérieux. Il est signé par Jean PAOLI qui commandait le groupe "Paris" des Milices Socialistes (regroupant des militants des Jeunesses Socialistes et de la SFIO), sous la direction du responsable régional Paul TROMPETTE (ce n'était pas un pseudonyme mais son véritable nom).
Nous pouvons ainsi savoir que ce Poggiolais faisait partie de ce groupe de résistants depuis le 1er janvier 1944 et que
"Agent de liaison et de renseignements, a participé les armes à la main, aux combats de rues livrés pour la libération de Marseille, du 19 au 31 AOUT 1944, dans le secteur: Bd Merentié, Cannebière-Castellane-Réformés."
Point de détail: il ne faut pas s'étonner de voir écrit "Canebière" avec deux "n" car l'orthographe actuelle date de 1927 et mit du temps à s'imposer.
Un "certificat d'appartenance" de Philippe FRANCESCHETTI aux FFI (Forces Françaises de l'Intérieur), établi quatre ans plus tard, le 17 mai 1950, précise:
"Agent de liaison inter-groupe, a contribué également à recruter des combattants pour nos corps-francs".
On peut être content: ces documents permettent de bien connaître l'activité d'un résistant et ils sont incontestables car bardés de signatures et de tampons officiels.
Pas si simple: une lettre remet tout en cause.
Un courrier du colonel CHASSON, directeur régional du recrutement et de la statistique, daté du 8 décembre 1955, demande au général de Corps d'Armée GROSSIN commandant la 9ème Région Militaire une vérification de l'appartenance aux FFI de Philippe FRANCESCHETTI. La raison en est une incohérence:
"L'intéressé déclare avoir été déporté en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire d'octobre 1943 au 29/6/1945. Or, le présent certificat lui attribue des services FFI pendant une partie de cette période".
La contradiction est flagrante.
Le dossier de Vincennes contient la façon dont le problème fut résolu. La semaine suivante, le général GROSSIN envoya une lettre à Philippe FRANCESCHETTI au 102 boulevard Chave et une autre, toujours à Philippe FRANCESCHETTI, au 3 rue Breteuil pour une convocation à l'Etat-Major de la Région, 57 boulevard Périer. Tout s'éclaircit alors: il y avait deux Philippe FRANCESCHETTI.
L'un, Philippe Antoine Pascal, surnommé Filippone, était né le 26 mai 1901. Militant laïc et socialiste de toujours, il avait bien été dans la Résistance.
L'autre Philippe, son neveu, était né le 5 novembre 1922 et, requis par le STO, il avait été déporté en Allemagne orientale. Au moment des combats de la Libération, il se trouvait à Wittenberg, la ville où vécut Martin LUTHER.
Du coup, tous les documents du dossier ont été rectifiés... avec dix ans de retard!
La date de naissance de 1922 a été barrée et l'année 1901 a été ajoutée à la main.
Les homonymies sont fréquentes dans les familles corses à cause de l'habitude de donner le même prénom à presque chaque génération. Des exemples ont été donnés dans un article précédent.
Ainsi, dans la généalogie des FRANCESCHETTI, on compte huit Philippe décédés et un vivant.
Mais il n'empêche que les services dépendant de l'Etat doivent faire attention quand ils mettent en forme des documents officiels...
... Et, surtout, la recherche historique oblige à bien étudier, comparer et critiquer toutes les sources.
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Renseignements supplémentaires sur les adresses:
le 102 boulevard Chave fut le domicile de Jean-Antoine, le frère du Philippe résistant et le père du Philippe déporté du travail et de Jean-Martin;
le 3 rue Breteuil fut le domicile de Jean-Martin, le frère du Philippe STO, jusqu'en 1953, date à laquelle il s'installa avec épouse et enfants à la rue d'Endoume.