"Muna? Vous cherchez le hameau de Muna? Vous êtes passé devant sans le voir, Il n'est pas en bord de route, il faut lever la tête, on ne peut y accéder qu'à pieds". Cette indication apportée par une femme croisée au détour d'un virage en dit long sur la discrétion de ce hameau introuvable.
C'est ainsi que commence le reportage paru dans "La Corse, Votre Hebdo" du 11 avril 2014, titré "Muna raconte la vie de ses habitants disparus", sous la signature de Julian MATTEI. Les lecteurs qui connaissent ce village abandonné, entre Murzo et Rosazia, longtemps inaccessible par la route, y retrouveront son charme très particulier. Pour les autres, peut-être seront-ils tenté d'aller voir ce lieu de près.
Voici le reste de l'article.
Demi-tour sur la route en corniche. Dans ce sens, Muna apparaît enfin, accroché à la falaise d'en face. Ses maisons s'élèvent sur les pentes de la montagne de la Sposata. C'est une petite expédition pour y accéder. En bord de route, trois boîtes aux lettres indiquent qu'il est caché là, au-dessus. Des marches abruptes grimpent dans la rocaille. La remontée dans le temps a commencé. Au bout de quelques dizaines de mètres, d'imposantes maisons de pierre témoignent sans parole d'un riche passé. Le musée est à ciel ouvert. Certaines habitations commencent à souffrir sérieusement de l'usure du temps. Les murs sont dévorés par la végétation, les vitres battues par le vent n'ont pas résisté. Mais aujourd'hui, tout n'est que calme et mystère. On devine un peu la vie paisible qui y a régné. On imagine les habitants qui s'affairaient à leurs tâches quotidiennes. L'oubli fait régner le silence au seuil de ces maisons dont les portes se sont fermées les unes après les autres.
Dans la maison de fasgianu
Il est 18 heures en ce jour de printemps. On entend seulement le chant de la rivière et les exclamations d'un hôte inattendu. L'œil amusé, sur son promontoire, un âne brait. Appelons-le fasgianu. Ce gardien du temple veille sur les lieux. Il réside sur sa terrasse, devant une petite maison sans portes: son abri.
À l'évidence, ici il ne craint pas l'arrivée d'un promoteur.
Muna parle doucement, les lieux se racontent à mi-voix. Un vieux moulin de 1856, ùn séchoir à châtaignes et des fours à bois aux portes rouillées évoquent la vie quotidienne du XIXe siècle. Derrière cette sérénité de l'instant surgit un monde englouti. «Pugnetu», lit~on difficilement sur la porte d'une des maisons. «Votez Mitterrand pour Muna», décrypte·t-on sur une autre. Les discussions politiques ont jadis animé le hameau.
D'autres mots,évoquant des heures tragiques, sont inscrits sur l'église. Ce sont les noms des enfants de Muna. Ceux qui sont morts pour la France, en 1914 puis en 1939. Le nom des Nivaggioli revient comme un leitmotiv. C'était la grande famille de Muna. L'un des descendants est toujours installé là, un peu plus bas. Il veille encore sur ses aïeux. Dans l'église, cinq bancs, quatre chaises, un tronc, une pancarte: « 1 euro la bougie pour l'entretien de l'église ». Tout semble figé. À l'arrêt. On s'attend à trouver l'horaire de la prochaine messe.
Aux couleurs de l'ACA
Plus haut, de rares habitations ont été restaurées, les chemins sont dégagés. La modernité de certains matériaux contraste avec la vétusté des bâtisses. Tout porte à croire que le lieu est habité, parfois, les beaux jours venus. Témoins de ces visites, deux drapeaux corses flottent, accompagnés d'un autre aux couleurs de l'ACA.
Certains ne s'avouent pas vaincus, ils ne veulent pas que Muna disparaisse à jamais, ensevelie sous ses ruines. Ils y retournent de temps à autre avec l'espoir de préserver ce lieu de vie. Pourtant, au sommet du hameau, la dernière maison, sans toit, laisse penser que ce monde peut vite s'écrouler. Ses murs sont déjà fissurés mais elle regarde toujours la vallée. C'est de là-haut -aussi- en compagnie de fasgianu que des siècles d'histoires humaines nous contemplent.
JULIAN MATTEI