L'article sur le cinéma de Marignana ("On a presque honte d'être d'un village") peut faire penser à une autre forme de cinéma rural, qui a malheureusement tout à fait disparu: le cinéma itinérant. Des projectionnistes allaient autrefois l'été de village en village pour montrer des films dans les lieux non encore touchés par la télévision.
L'article ci-dessous, écrit d'après des souvenirs de Michel FRANCESCHETTI, avait été publié sur ce blog en mai 2009 et a été légèrement remanié.
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Les membres de la génération 68 (ceux qui avaient 20 ans autour de 1968) se souviennent certainement des séances de cinéma qui avaient lieu à Soccia pendant les grandes vacances des années 1960.
Chaque lundi, la séance était annoncée par une affiche apposée dans les villages de Sorru in Sù. A Poggiolo, elle était fixée par du scotch ou du sparadrap sur la porte de la maison MARTINI ou près de de la boîte aux lettres qui se trouvait alors sur le mur de la route, en face de la maison CECCALDI. Elle y restait jusqu'à ce que le briquet d'un adolescent malicieux la réduise en cendres!!! Mais tous les jeunes avaient eu le temps de la lire et de décider ou non de se rendre à la soirée.
Photo du 23 juillet 1968. De gauche à droite: Joël Calderoni, Marie-Thérèse Martini et Hervé Calderoni.
La séance débutait vers 21h ou 21h30. De Poggiolo, on se rendait à Soccia en groupe et à pied, évidemment. Qui aurait pensé utiliser un véhicule pour faire trois kilomètres? D'ailleurs, qui avait une voiture?
On s'asseyait sur des chaises hétéroclites ou un banc en bois qui menaçait de s'effondrer. L'ambiance était bon enfant car tout le monde se connaissait. Après avoir encaissé le prix de l'entrée, le projectionniste ambulant faisait cliqueter son appareil qui montrait toujours une première partie d'actualités ou de reportages avant le grand film. Ce film n'était jamais une nouveauté de l'année mais avait bien déjà 2 à 6 ans d'exploitation en ville.
Chaque changement de bobine permettait un entracte plus ou moins long. On houspillait parfois les filles qui passaient devant l'écran pour récupérer leurs sacs que les garçons avaient chipés.
1966 fut la première année où les séances se tinrent "chez Marco", ou plus exactement "chez Santa", comme on disait alors, c'est-à-dire dans l'actuel hôtel "U Paese", alors en construction. C'était dans une salle qui est sous la terrasse de l'hôtel.
Les années précédentes, les projections avaient eu lieu à l'ancien Hôtel Ste Anne qui était quelques dizaines de mètres plus haut.
Le mur étant suffisamment blanc pour servir d'écran, il n'était pas nécessaire d'y accrocher des draps de lit (drap à une place pour les films ordinaires, draps à deux places pour les grands films en cinémascope!) comme à l'Hôtel Ste Anne.
Le prix de la soirée était de 3 Francs, ce qui équivaut à 0,46 euro. Pas de quoi se ruiner!
Voici, avec les anecdotes qui y sont liées, la programmation que je connus pendant mon séjour de l'été 1966 (en cliquant sur les titres ou les noms d'acteurs, vous aurez des renseignements sur ces chefs-d'œuvre impérissables):
- lundi 18 juillet: "Tonnerre apache", western avec Charles BRONSON.
- lundi 25 juillet: "Au bord du volcan", film d'espionnage avec Martine CAROL.
- lundi 1er août: treize jeunes Poggiolais (dont je faisais partie) ne sont pas allés au cinéma car ils préparaient une excursion à Camputile pour le lendemain (et le départ était fixé à 4 heures du matin!).
- lundi 8 août: "Houla-Houla", film comique avec Fernand REYNAUD.
- lundi 15 août: "Les trois sergents", western avec Dean MARTIN, Franck SINATRA et Sami DAVIS jr. Il fallut attendre la fin de la traditionnelle procession aux flambeaux et bougies de l'Assomption pour commencer. Mais certains Poggiolais, lassés des "navets", avaient préféré aller aux "Trois Chemins" écouter des 45 tours à la belle étoile sur un électrophone TEPPAZ à piles, comme ils le faisaient souvent.
Joël CALDERONI près d'un électrophone sur la terrasse des Bartoli le 20 août 1966 (extrait du film "Au temps du 45 tours").
- lundi 22 août: "Exodus", film exceptionnel par sa longueur et son thème (super-production hollywoodienne sur les débuts de l'Etat d'Israël). Le prix fut donc exceptionnel: 4 Francs.
- lundi 29 août: "Le vice et la vertu". Film de Roger VADIM d'après le marquis de Sade, avec Robert HOSSEIN, Annie GIRARDOT et Catherine DENEUVE. Il était en principe interdit aux moins de 18 ans mais cette limitation, à peine entrevue lors de la projection de la bande-annonce le 22 août, n'était pas indiquée sur les affiches.
- lundi 5 septembre: séance annulée pour cause d'une panne de courant dans le canton, panne commencée depuis le matin et qui dura jusqu'au lendemain!!! Il y avait toujours une ou deux coupures de cet ordre pendant les vacances.
Lors d'étés sans télévision (premier poste au village: dans la famille MICHELANGELI en 1965, semble-t-il), ces soirées étaient des distractions qui permettaient de se rassembler, de s'amuser et d'entretenir l'esprit communautaire de l'époque.
Mais c'était il y a très, très longtemps, dans une autre époque, dans une autre société, peut-être dans un autre monde...
(à suivre)
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