Commencer l’année 2019 est une façon de dire adieu à 1968. Le cinquantenaire de cette année mythique a été célébré par des livres et quelques émissions de télévision médiocres et qui n’ont pas eu de succès. Les «baby-boomers» qui firent bouger, un peu, la société sont étudiés dans le récent et très bon livre de Jean-François SIRINELLI «Génération sans pareille» (éditions Tallandier).
Voici dix ans, «L’Info U Pighjolu» avait, pour les quarante ans de cette année, publié un article de Michel FRANCESCHETTI sur «La génération 68 à Poggiolo» qui montrait comment cette jeunesse s’était comportée au village, apportant des comportements nouveaux pour l’époque mais parfois bien éloignés d’aujourd’hui.
Nous reproduisons une version mise à jour de cet article, avec des liens sur les articles du blog donnant des informations complémentaires.
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LA GÉNÉRATION 68 À POGGIOLO
Cet article a pour ambition de montrer une partie de ce qu’ont connu au village ceux qui sont maintenant pratiquement tous des retraités. Nulle nostalgie ici mais simplement le désir de faire connaître un monde à la fois proche et lointain. Malheureusement, la place manque pour donner tous les renseignements qu’il faudrait fournir.
En regardant les photos prises voici un demi-siècle, il est évident que l’on ne peut s’empêcher de penser: «Nous avons tous pris un sacré coup de vieux». Notre classe d’âge est maintenant presque entièrement entrée dans une nouvelle période de sa vie: la retraite. Toutes sortes de publications, souvent médiocres, rappellent que nous avons eu 20 ans en 1968, voici 50 ans.
Le Poggiolo d’il y a 50 ans n’était plus tout à fait le Poggiolo d’antan mais il était bien loin du Poggiolo d’aujourd’hui. La génération 68 (en fait, le groupe des jeunes ayant entre 16 et 24 ans en 1968) a connu ce changement.
Le professeur Jean-François SIRINELLI avait intitulé «Génération 68» l’article paru en mars 2003 dans la revue «L’Histoire».
Il y expliquait la place particulière de cette génération qui a vécu sa jeunesse dans une France emportée par la croissance.
«Place à part: jamais une génération n’a été plus différente de celle de ses pères et grands-pères; dans un contexte d’exode rural accéléré, cette génération est celle de l’adieu aux terroirs.»
Si certains sont nés à Poggiolo, nous avons, pour la très grosse majorité d’entre nous, vécu en ville (à Paris, Marseille, Nice, Epinay, Troyes…), parfois même, conséquences de l’époque coloniale, en Algérie ou en Afrique noire. Très rares sont ceux qui ont suivi des cours à l’école de Poggiolo avant sa fermeture.
Mais SIRINELLI ajoutait: «reste que les jeunes gens du baby-boom, souvent petits-fils de paysans, fils de citadins aux racines paysannes proches, ont conservé des attaches avec le village et retournent en vacances chez les grands-parents. ».
Il nous semblait naturel de passer les vacances d’été au village, vacances longues: tout le mois de congé annuel de nos parents et même bien plus car plusieurs étaient laissés à la garde des grands-parents ou oncles et tantes. Nous baignions bien dans la vie du village qui restait ce que SIRINELLI nommait « une sorte de réserve naturelle des comportements collectifs ».
Ainsi, au début et à la fin du séjour, la tournée de bises était obligatoire pour saluer des vieux et vieilles dont nous connaissions à peine l’identité.
Il fallait respecter scrupuleusement les heures de repas (à midi et à 20 heures, notre grand-père Jean-Antoine était assis en bout de table, le chapeau sur la tête ; il l’enlevait quand nous étions tous là et le repas commençait).
La tenue vestimentaire était surveillée. Les jours de fête, les Poggiolais de tous les âges tenaient à être bien habillés. Ce fut un beau scandale quand certaines filles passèrent un jour en maillot de bain dans la Stretta.
La présence à la messe, qui avait lieu tous les dimanches, célébrée par Mgr Demartini ou par le curé Milleliri, était impérative même pour ceux qui étaient modérément intéressés.
Ce contrôle strict, encore plus sur les filles que sur les garçons, était difficile à supporter pour les demi ou trois quarts citadins que nous étions.
Les matins poggiolais étaient agités avec les allers et venus au Lucciu pour remplir seaux et brocs, l’eau courante n’étant pas encore installée. Nous devions assumer notre part de la tâche. Les femmes en robe et fichu noir étaient encore nombreuses et la fontaine (dite Radio-Poggiolo) permettait d’échanger les informations et de faire des commentaires sur chacun (en corse pour que les jeunes ne comprennent pas).
Chaque jour, plusieurs voitures de commerçants arrivaient et klaxonnaient pour attirer les clients (Marie-Thérèse qui était aux premières loges s’en souvient bien).
Les hommes, leur binette à la main, passaient pour surveiller les rigoles d’arrosage des jardins.
N’oublions pas le facteur tout heureux de se débarrasser d’une bonne partie de son courrier entre nos mains dès qu’il arrêtait sa voiture au centre du village, méthode pas trop réglementaire mais fort conviviale.
N’oublions pas non plus les passages et les cris des ânes, chiens et cochons, et puis les cocoricos des coqs. Le village était bruyant le matin et le soir. Un bruit était rare: celui des automobiles, dont le nombre augmentait peu à peu chaque année.
L’après-midi était souvent consacré à la rivière où nous allions à pied pour mieux nous laver qu’à la maison sans eau courante et surtout pour nous détendre entre nous, libres, avec parfois un poste à transistor pour écouter les débuts de Jean-Pierre Foucault sur RMC, seule station pouvant être captée correctement.
(à suivre)
Sauf une, les photos sont de Jacques-Antoine Martini et Michel Franceschetti.
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