"Les Mexicains arrivent. Il y a la Riboluzione contre la force armée! Les Mexicains, i Mexicani!".
En poussant ces cris dans un mélange de français, de corse et d'espagnol, Marc Antoine CECCALDI se mit à courir dans la maison de la famille CECCALDI et dans la rue de Poggiolo. Il fut difficile de le calmer. Il est vrai que, en ce matin du 26 septembre 1892, le village avait un aspect inhabituel. Un groupe d'hommes armés venait d'arriver et se rafraîchissait chez le maire Pierre MARTINI.
UNE EXPÉDITION SANGLANTE
Ces hommes n'étaient pas Mexicains mais Guagnais. Sous la direction du maire de Guagno Jean-François LECA, cinquante-deux villageois, dont trente-quatre avec des fusils, avaient monté cette expédition pour aller à Soccia, chef-lieu du canton, s'opposer à la proclamation des résultats de l'élection d'un conseiller d'arrondissement. L'affaire tourna très mal car, à l'entrée de Soccia, ils affrontèrent les gendarmes dont deux furent tués (voir l'article Les Mexicains arrivent (première partie)).
L'affaire fit grand bruit dans toute la France et même à l'étranger (voir l'article La conclusion de l'affaire de 1892 dans la presse). En juin 1893, trois Guagnais dont le maire furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité, sept à vingt ans de bagne et une dizaine à diverses peines.
Mais pourquoi l'arrivée de cette troupe avait-elle provoqué un tel émoi chez cet homme de soixante ans?
Marc Antoine CECCALDI était né à Poggiolo en 1832. Son père Saverio (1784-1865) avait eu également deux filles, Maria Lilla (1830-1903) et Marie Magdeleine (1836-1898), et un autre fils François Marie, né en 1829.
Mais François Marie avait été tué en 1851, à l'âge de 21 ans, dans une bagarre à la sortie d'un bal à Soccia.
LE SÉJOUR MEXICAIN
Un peu plus tard, profitant de l'expédition militaire française au Mexique (1862-1867), Marc Antoine s'installa dans ce pays et y resta après le départ de l'armée de Napoléon III.
La bataille de Camerone (30 avril 1863), le fait d'armes héroïque de la Légion Etrangère pendant la guerre du Mexique.
Il s'installa à La Piedad, dans l'Etat de Michoacan, sur la côte de l'Océan Pacifique. C'est là que naquit son fils le 4 janvier 1869. Il l'appela François Marie en souvenir de son malheureux frère. La tradition orale poggiolaise lui donne comme mère une Mexicaine. Mais, sur le registre matricule militaire (fiche 9 NUL 30/2147– Archives Pumonti), il est inscrit le nom de "feue Thérèse COLONNA", une Corse donc, et morte avant 1891, date de la rédaction de sa notice individuelle.
Marc Antoine revint en Corse, longtemps après, en 1892, avec son fils François Marie, semble-t-il. Arrivé à Vico en voiture à cheval, il continua à pied. Mais, ayant quitté le village depuis trente ans, il se trompa de route après Sorru et arriva à Guagno, d'où il repartit, toujours à pied, pour Poggiolo.
Il était donc arrivé depuis quelques mois dans la maison familiale quand, le 26 septembre 1892, il entendit le remue-ménage provoqué par la troupe des Guagnais en route pour leur coup de force à Soccia. Surpris par ce bruit et la vue des armes, il s'affola, se crut revenu dans les turbulences mexicaines et se mit crier et à gesticuler comme décrit au début de cet article.
Fut-ce le choc de cet événement? Toujours est-il qu'il mourut le 21 novembre 1893.
UN MEXICAIN DANS L'ARMÉE FRANÇAISE
Que devint le fils de Marc Antoine?
François Marie, inscrit sur les listes françaises de recensement militaire, fut déclaré insoumis le 30 juin 1891 pour ne pas s'être présenté au conseil de révision. Mais il obtint un non-lieu en se présentant volontairement au bureau de recrutement d'Ajaccio le 3 juin 1893. Il semble que, avant de quitter le continent américain, il ait servi dans l'armée mexicaine.
En tout cas, il fit ensuite carrière dans les troupes coloniales françaises pendant une quinzaine d'années, jusqu'en 1909: 4e, 13e et 4e régiments de marine, puis 22e régiment d'infanterie coloniale. Il servit notamment pendant la seconde campagne de conquête de Madagascar, d'avril 1895 à juin 1900, ce qui lui permit de recevoir plusieurs décorations. Il servit également à La Martinique.
François Marie vint habiter à Poggiolo où il était surnommé "El Mexicano". Six mois après avoir quitté l'armée, il se maria le 30 octobre 1909 avec Angèle Françoise MARTINI (1867-1928), veuve de Xavier VINCIGUERRA (1850-1905).
SOLDAT ET AGRICULTEUR
Quand éclata la première guerre mondiale, en août 1914, l'armée française le rappela. Il fut versé dans l'infanterie, puis dans l'artillerie. Contre l'Allemagne, ses états de service enregistrés concernèrent la période du 2 aout 1914 au 23 février 1917. A cette dernière date, François Marie fut "détaché agricole comme propriétaire exploitant à Poggiolo".
Libéré de toute obligation militaire le 1er décembre 1918, "El Mexicano" put profiter de sa retraite jusqu'à son décès le 12 novembre 1931.
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Certains renseignements qui ont permis de rédiger cet article ont été trouvés dans le registre matricule militaire des Archives de Corse et dans les fiches généalogiques rédigées par Pierre LECCIA sur le site GENEANET. D'autres ont été fournis par Xavier PAOLI.
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Articles en rapport avec l'affaire de 1892:
Les Mexicains arrivent (première partie) - Le blog des Poggiolais
A première vue, aucun lien ne peut exister entre Poggiolo, le Mexique et la mort de deux gendarmes. Il existe pourtant à l'occasion d'un fait divers qui s'est déroulé en 1892. Les querelles ...
http://poggiolo.over-blog.fr/article-les-mexicains-arrivent-48859828.html
La conclusion de l'affaire de 1892 dans la presse - Le blog des Poggiolais
L'expédition guagnaise de 1892 qui s'est soldée par la mort de deux gendarmes (voir les articles des 4 mai et 6 mai ) s'est terminée par un grand procès. Du 20 au 27 juin 1893, comparurent 44 ...
http://poggiolo.over-blog.fr/article-la-conclusion-de-l-affaire-de-soccia-sel-49199556.html
A disgrazia di Minnanna ou la détresse des victimes - Le blog des Poggiolais
Dans les nombreuses histoires de banditisme et de réglements de comptes qui jalonnent l'histoire de notre canton et de toute la Corse, les récits insistent beaucoup plus sur les auteurs des meurtres
http://poggiolo.over-blog.fr/article-a-disgrazia-di-minnanna-ou-la-detresse-d-66883171.html
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