La Révolution Française s’empara de toutes les propriétés ecclésiastiques le 2 novembre 1789. Elles furent vendues, parfois tardivement, comme à Poggiolo où il fallut attendre 1803 (voir l’article "Une vente aux enchères bien compliquée"). Les prêtres ayant accepté la Constitution Civile du Clergé et un serment de fidélité étaient payés par l’Etat jusqu’au 18 septembre 1794 où la Convention supprima tout traitement.
Mais, sans revenu, comment les prêtres pouvaient-ils vivre ? Cette question, ainsi que celles de l’organisation de l’Eglise et des relations avec la papauté, ne fut résolue que par la signature du Concordat par le Premier Consul Napoléon BONAPARTE et le pape PIE VII le 26 messidor an IX (15 juillet 1801). Les prêtres furent désormais rémunérés par l’Etat (et ainsi jusqu’à la loi de Séparation de 1905).
Les Articles Organiques publiés par le gouvernement consulaire le 18 germinal an X (8 avril 1802) précisèrent l’application du Concordat.
Dans leur article LXI, les curés étaient divisés en deux classes: la première, recevant un traitement de 1.500 francs, et la deuxième, recevant 1.000 francs.
Cette somme pouvait être éventuellement complétée par les communes, d’après l’article LXVII :
«Les conseils généraux des grandes communes pourront, sur leurs biens ruraux ou sur leurs octrois, leur accorder une augmentation de traitement, si les circonstances l’exigent».
L’article LXXII prévoyait un logement fourni par la commune:
«Les presbytères et les jardins attenants, non aliénés, seront rendus aux curés et aux desservants des succursales. A défaut de ces presbytères, les conseils généraux des communes sont autorisés à leur procurer un logement et un jardin».
Mais ces possibilités ne pouvaient pas s’appliquer à Poggiolo. Le conseil municipal s’en plaignit et proposa une solution originale dans une lettre reçue par le sous-préfet de Vico le 10 ventose an XI (1er mars 1803). La date est importante : on était alors à neuf jours de la première vente des terres confisquées à la paroisse de Saint Siméon. Ces terrains avaient été divisés en lots et la mise aux enchères annoncée par affiche préfectorale.
L'affichage déclencha la réaction des élus poggiolais qui se réunirent solennellement dans la salle de réunion du conseil municipal et rédigèrent une lettre officielle au «Prefetto Generale del Departimento di Liamone» (Préfet Général du Département du Liamone).
Sous l’en-tête «Liberta Eguaglianza» (Liberté, Egalité), le texte, écrit en italien, avec un style qui se veut juridique, est signé par :
Anton Martino DESANTI
Domenico Felice PINELLI
Anton Francesco PINELLI
Natale PINELLI
Polo FRANCESCHETTI
Martino PAULI
Giuseppe LORENZETTI
Giacomo CAMILLI, conseillers
DEMARTINI, adjoint
FRANCESCHETTI, maire
Le prénom de l’adjoint était Giuseppe. Celui du maire était Domenico Felice.
Le conseil municipal poggiolais faisait remarquer que les anciens biens paroissiaux «sono stati stimati senza aver lasciato cio’che permette la legge al ministro di culto. Cioé l’orto e la casa» (ont été estimés sans avoir laissé ce que permet la loi au ministre du culte. C’est-à-dire le jardin potager et la maison). En effet, l’article LXXII des Articles Organiques mentionne bien qu’il faut rendre aux curés «Les presbytères et les jardins attenants, non aliénés». Or, ces terres avaient été confisquées mais non encore vendues. Le curé de Poggiolo aurait pu bénéficier de cette possibilité.
La lettre déclarait ensuite que la population de la commune étant peu nombreuse (trente-six feux environ) : «non puo con decore sostenere les spese di culto, ed il ministro» (ne peut avec dignité soutenir les dépenses du culte, et du ministre). Il n’était donc pas possible d’appliquer l’article LXVII pour augmenter le traitement.
La deuxième phrase de l’article LXXII permettait de «procurer un logement et un jardin». Mais, en dehors des biens mis aux enchères, la commune n’avait aucune richesse foncière: «non c’é un luogo sufficiente per forti l’orto secondo la legge».
Pourtant, cette lettre de réclamation était également constructive. Elle suggérait de concéder au prêtre des parcelles non encore vendues, à savoir les terres et les châtaigniers proches de l’église et le jardin de la Tignosa:
«le terre e castagni della Costa alla Chieja, cioé dal monte alla Canonica ingiù per fino a comprendere il chiojo della Tignosa»
Le conseil municipal osait même avancer que l’on pourrait inclure le morceau de terre dit San Annaria.
En gros, la proposition recouvrait à peu près les numéros 1, 2 et 6 des lots proposés aux enchères. Elle était audacieuse car elle arrivait alors que l’organisation de la vente aux enchères était «bouclée».
Malgré tout, la protestation poggiolaise réussit en partie. Lors de l’adjudication du 24 ventose (15 mars 1803), le Préfet Jean-Baptiste GALEAZZINI déclara au préalable au public que la vente du lot 1, placé à la Tignosa, était suspendue.
Les curés de Poggiolo purent se nourrir grâce au sauvetage opéré au dernier moment par le conseil municipal.
De ce terrain, il reste maintenant Chioso Chiesale, dit aussi «u ouijare», dont il a été question dans un article précédent (voir "Le trésor municipal").
(Fin de la série "La Laïcité en action dans les Deux Sorru")