Dans l'histoire de la Corse, le premier bandit "officiel" fut Théodore POLI, de Guagno.
L'imaginaire collectif s'est emparé de ce personnage dont les exploits ont été amplifiés et déformés. On raconte souvent que Théodore a tué le bourreau de Bastia, qu'il l'aurait même guillotiné. Par exemple, l'universitaire Pierre ANTONETTI écrivait, dans son "Histoire de la Corse" publiée en 1973: "Et l'on assiste aux tristes exploits d'un Théodore POLI (...), véritable "Roi de la montagne" qui, de sa forêt d'Aïtone, pouvait se payer le luxe de descendre à Bastia pour s'y emparer du bourreau et l'exécuter en pleine ville". Cette version est reprise dans certains sites internet qui, par exemple, écrivent: "Un bandit notoire alla même jusqu’à enlever et exécuter le bourreau de Bastia".
Un peu de clarté est nécessaire.
LES LIVRES DE PIERHOME
De nombreux renseignements se trouvent dans "La vie du bandit Théodore", publié en 1934 et écrit par Henri PIERHOME.
Le véritable nom de cet auteur était Henri PIERANGELI.
Né à Bastia en 1875, décédé en 1945, Henri PIERANGELI était le neveu du républicain Emmanuel Arène. Elu député de Bastia en 1906, il fut réélu en 1910, puis 1914, 1919 et 1928 sous l'étiquette de la "gauche radicale", nom d'un groupe du centre-droit. Il abandonna la vie politique après son échec à la sénatoriale partielle de 1937.
Il est piquant de savoir que son fils épousa à Marseille en 1922 une nièce de l'écrivain royaliste Charles MAURRAS.
Il est l'auteur d'études sur la Corse économique, d'un roman historique ("Anna Maria") et de vies romancées: "Gallochio, bandit corse", "La vie du bandit Bellacoscia", "La Vie du bandit Théodore", ...
Son ouvrage est donc une base documentaire essentielle mais quelques confusions y sont présentes et il doit être étayé par d'autres sources.
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DE LA DÉSERTION À L'ORGANISATION
Théodore POLI naquit en 1797 à Guagno. Conscrit en 1816, il avait tiré un mauvais numéro et obtenu un sursis mais il fut rappellé le 11 novembre 1819.
Le brigadier PETIT, de la gendarmerie de Guagno, laissa passer le temps imparti et, après avoir promis de le laisser tranquille, l'arrêta cependant comme déserteur le 4 février 1820. Il le conduisit menotté à Ajaccio. Mais Théodore déserta rapidement pour de bon, se précipita à Guagno et, le soir du 14 février 1820, abattit le gendarme qui festoyait chez un habitant. Son histoire de bandit débuta à ce moment.
Réfugié au maquis, il s'associa avec un contumace PELLEGRINI, dit BRUSCO, qui vivait près de Vico, puis avec les frères MULTEDO. Il en vint à créer une petite communauté de près de 150 bandits, dans la forêt d'Aïtone, sur laquelle il règnait en véritable dictateur.
Lors de la création de cette organisation, près de Guagno, Cecco SAROCCHI proposa de tuer le bourreau pour porter un défi aux autorités. SAROCCHI, né en 1792 à Rusiu, avait été condamné 15 fois dont 4 à la peine de mort. Il avait obtenu des autorités un passeport pour s'exiler en Italie mais il voulait venger son ami ANCINO qui avait été guillotiné à Bastia à l'issue d'un procès que le bandit jugeait bâclé. Théodore ne voulut pas participer à cette action mais donna son accord.
LE RAID DE BASTIA
Le 24 janvier 1824, Louis SIMALIOT, exécuteur des hautes œuvres de Bastia, accompagné de son aide Martin ALVIDA, qui était aussi son gendre (il avait épousé sa fille Marie-Esther), s'en alla à la chasse à l'étang de Chiurlino. Tombé dans une embuscade tendue par Cecco SAROCCHI, Pascal GAMBINI et Jean-Baptiste TORRE, SIMALIOT réussit à s'échapper. ALVIDA resta entre les mains des ravisseurs.
Ceux-ci demandèrent 300 écus. Au moment du versement de la rançon, SAROCCHI et ses complices furent arrêtés. Le corps d'ALVIDA fut retrouvé ensuite, à Furiani, égorgé d'un coup de poignard le 2 février. SAROCCHI fut guillotiné le 31 mai 1825 sur la place Saint Nicolas, par SIMALIOT lui-même.
Théodore mourut le 5 février 1827 (et non pas en 1831 comme le datent certains sites) après de nombreux méfaits (dont ce blog contera bientôt quelques exemples) mais il n'était directement pour rien dans l'affaire du bourreau (ou plutôt de l'aide-bourreau).
La légende s'empara vite de lui. Dans la fameuse "Colomba" de Prosper MÉRIMÉE, parue en 1840, on peut lire une référence au raid de Bastia.
Colomba, pour faire peur aux voltigeurs qui cherchent son frère Orso, leur demande :
«Savez-vous, messieurs, que si par hasard les trois frères GAMBINI, SAROCCHI et Théodore POLI se trouvaient à la croix de Sainte-Christine avec BRANDOLACCIO et le curé, ils pourraient vous donner bien des affaires. Si vous devez avoir une conversation avec le Commandant de la campagne (MERIMEE place en note que "c’était le titre que prenait Théodore POLI"), je ne me soucierais pas de m’y trouver. Les balles ne connaissent personne la nuit.»