En regardant les vieilles photos, on tombe toujours sur des images de cérémonies religieuses: mariages, baptêmes ou communions. Il n'y a là rien d'étonnant car toutes les étapes de la vie étaient rythmées par la religion.
Ainsi, on peut être impressionné par le nombre des communiants poggiolais sur le perron de l'église St Siméon, par leur sérieux, par leur habillement... et par la longueur de leurs cierges. Bien entendu, il paraissait normal (on était avant la seconde guerre mondiale) de mettre les filles derrière.
(rappel: les photos et illustrations peuvent être agrandies en cliquant sur chacune d'elles)
Longtemps après l'événement, il est toujours hasardeux de donner des noms sur les visages. Si l'identification proposée ci-dessous comporte des erreurs, n'hésitez pas à le signaler.
Une telle photo devient de plus en plus rare.
Au milieu des années 1960, 94% des Français étaient baptisés, 80% des enfants faisaient leur communion solennelle et 25% de la population participait à l'office du dimanche. Bien sûr, au bout d'un an, la moitié des communiants arrêtait de pratiquer et, à 21 ans, 25% communiait encore, mais 80% des obsèques étaient religieuses.
A Poggiolo, chaque dimanche, la chapelle Saint Roch était pleine de femmes et d'enfants, les hommes, n'ayant pas de places, restaient sur la place pour fumer et discuter. Mais ils donnaient à la quête et certains entraient pour communier (voir l'article "Un méfait de la canicule à Poggiolo").
Maintenant, les villages ont été vidés par l'exode rural et, surtout, la société française connaît depuis un demi-siècle une transformation radicale avec le déclin de la pratique et de l'influence de la religion catholique.
Aujourd'hui, ce sont seulement 30 à 35 % de la génération qui sont baptisés, et le taux de pratique de la messe dominicale est tombé aux environs de 3 %.
Cette révolution de moins en moins invisible a été étudiée par un de nos meilleurs spécialistes d'histoire religieuse, Guillaume CUCHET, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Est Créteil. Il vient de publier "Comment notre monde a cessé d'être chrétien. Anatomie d'un effondrement" (ed. Le Seuil).
CUCHET part de l'analyse de la célèbre carte de la pratique religieuse de la France rurale du chanoine Boulard dont la première édition date de 1947 et qui fut actualisée en 1966.
On remarquera que cette carte montre un taux important au nord d'Ajaccio, dans notre partie de la Corse. Serait-ce à mettre en rapport avec la présence du couvent de Vico?
Au-dessus de 45% de pascalisants, en sachant qu'il y avait plus de femmes pratiquantes que d'hommes et plus d'enfants que d'adultes, le chanoine BOULARD considérait que l'on était dans une zone profondément chrétienne.
Guillaume CUCHET montre que la déchristianisation est ancienne, au moins depuis la Révolution, mais que le véritable effondrement s'est déroulé dans les années 1960 et il le met en rapport avec le concile Vatican II (1962-1965). L'universitaire Michel WINOCK résume cette idée dans le compte-rendu qu'il publie dans le numéro de février du mensuel "L'Histoire":
"Cependant, ce qui se passe dans les années 1960 est nouveau: ce n'est plus un mouvement lent de désaffection religieuse, mais une rupture brutale.
Vatican II en a été non le créateur, mais le déclencheur. On pourrait dire en termes simples que le concile a changé la face de la religion traditionnelle à laquelle les catholiques français étaient habitués. Il y eut d'abord la réforme de la liturgie, la fin de la messe en latin. Les prêtres ont jeté leur soutane aux orties. On a cessé à l'église de parler du diable et de l'enfer. Dieu s'est arrêté d'être un super-juge, inflexible, pour devenir un Dieu-Amour, miséricordieux. Le péché a perdu sa charge de peur, qui contraignait à suivre les pratiques séculaires, la confession notamment. En profondeur, l'esprit du concile visait à rendre la religion plus exigeante. Elle ne devait plus être un folklore, une habitude familiale ou régionale, un comportement de routine. Il fallait désormais, aussi bien pour le baptême que pour le mariage religieux, que les fidèles élèvent leur foi à la hauteur des sacrements. On ne devait plus aller à la messe par accoutumance, mais y participer pleinement."
La religion sembla être devenue trop intellectuellement exigeante pour la moyenne des Français qui avaient besoin de manifestations concrètes, de processions, de musique et d'images. Or, le concile adopta en décembre 1963 le changement de la liturgie (messe en langue nationale et non plus en latin, prêtre face aux fidèles pendant la messe...) qui s'appliqua dès janvier 1964. La fin de l'obligation du manger maigre du vendredi s'opéra en janvier 1967. Le texte du concile sur la liberté religieuse ("Dignitatis humanae", 7 décembre 1965) déboussola les convictions de nombreux chrétiens.
Michel WINOCK ajoute à propos de ce livre qu'il qualifie de "passionnant":
"A ces causes proprement religieuses, Guillaume Cuchet ne manque pas d'ajouter les bouleversements de la société. C'est dans la décennie 1960 que l'on commence à parler de la société de consommation. Une « civilisation des loisirs » est alors en train de se mettre en place, avec les week-ends, l'automobile, les vacances, tandis que la télévision devient la fée du logis. Une nouvelle génération, celle des baby-boomers, arrivés à l'âge adulte, est la première à décrocher massivement de la religion."
Si l'on comprend bien, l'effondrement religieux (ou plus exactement catholique) est le fait d'une génération qui a porté dans sa jeunesse les robes d'enfants de chœur mais qui s'est détachée de l'Eglise en devenant adolescente ou adulte.
Finalement, les responsables de toutes les difficultés supportées par la France depuis plusieurs dizaines d'années sont toujours les mêmes.
Il est conseillé d'écouter l'émission de France Inter "La marche de l'histoire" du 13 février dans laquelle Guillaume CUCHET discute de ces questions avec Jean LEBRUN.
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Quand la France cesse-t-elle d'être catholique ?
Que s'est-il passé en un demi-siècle ? On peut nourrir l'hypothèse qu'il s'est produit une rupture de pente brutale dans les années 1960. Un effet de 68 ? Mais le processus était engagé avant...
https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-13-fevrier-2018
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