1501 est le début d'une longue troisième année zéro
La nouvelle tentative de Giovan Paolo en 1501 exaspère encore plus les Génois. Elle est très dangereuse pour eux mais ne dure que quelques mois (en lire le récit en cliquant ici). La répression, parfaitement
planifiée, est appliquée par Niccolo DORIA, qui débarque à Ajaccio début 1503 avec son cousin Andrea, 800 fantassins et 100 cavaliers. La disabitazione atteint
un degré supérieur à celui de 1489.
Elle est clairement décrite dans le rapport envoyé le 5 août 1507 par Niccolo à l'Office de Saint-Georges:
"J'ai expulsé les habitants, semé la ruine totale et détruit tous les arbres fruitiers et les vignes dans les pieve de Carbini et d'Attala, ainsi que dans les habitats qui sont au nombre de vingt environ. Comme ce qui subsiste dans cette région permet à peine de se rendre compte qu'elle a été habitée, les habitants s'en sont allés. Je leur ai donné jusqu'au milieu du présent mois pour emporter tous les biens; aussitôt passé ce terme, j'assignerai, aussi bien aux hommes qu'aux bêtes, un délai au-delà duquel ils ne devront ni ensemencer ni paître sous peine de sévères punitions. Et je ferai veiller à l'observation stricte de ses décisions."
Le doute n'est pas permis: les Génois veulent transformer les pièves révoltées en véritables déserts. Ils sont aidés par quelques
Corses qui avaient été hostiles à Giovan Paolo, comme Rainero et Battista de Cristinacce qui habitaient Vico et obtinrent toutes sortes "d'avantages pour avoir aidé Niccolo Doria à expulser les
habitants du Niolo, de Sevidentro, de Letia et de Sorroinsù" (note d'Antoine-Marie GRAZIANI dans "Histoire de la Corse" de Marc Antonio CECCALDI).
Il y eut pourtant certains villageois qui échappèrent à cette déportation et survécurent dans les hauteurs de la montagne avec des abris de fortune.
Un document très important, un manuale (manuel) du 5 juillet 1513, montre l'instinct de survie de nos ancêtres.
Ces six pages nous font connaître une liste de gens étant revenus semer chez eux ou sur des territoires interdits:
- des gens de Lopigna installés à lo Corsolino sous Rosazia;
- des gens de Lopigna et Rosazia à Rosazia;
- des gens de Salice, de Sarri, de Sant'Andrea et de Rezza à Salice;
- des gens de GUAGNO à GUAGNO;
- des gens d'ORTO et de GUAGNO à ORTO;
- des gens de GUAGNO, des SOPRANE, de Lonca, de POGGIOLO, d'ORTO, de Murzo et de SOCCIA aux SOPRANE (1) et à POGGIOLO;
- des gens des SOPRANE, de Letia, de Murzo, de Chigliani et de Vico à Murzo;
- des gens de Letia et de Renno à Letia;
- des gens du Niolo, de Renno, de Balogna et de Cristinacce à Cristinacce;
- des gens de POGGIOLO, d'Evisa et de Tasso à Evisa;
- des gens de POGGIOLO, de Letia, de Vignale et de Tasso à POGGIOLO;
- des gens de Chidazzo et de Marignana à Marignana,
- diverses personnes dans la pieve de Sia, à Vico, à Corrano et à Bocognano.
(Archivio di Stato de Gênes, Banco di San Giorgio, Primi Cancellieri di San Giorgio, liasse 16, pièces 601-63).
Ce texte donne l'identité précise des trente-sept paysans (parmi lesquels des Poggiolais) qui ont osé semer dans la zone interdite(2). Il donne "les quantités exactes utilisées, en blé, en orge et en seigle, pour un montant total de 441 mezini, correspondant donc à une surface de l'ordre de deux cents hectares en tout." (François PAOLI, "Letia et la région de Vico", p. 37).
On y apprend aussi que la plupart de ces irréductibles vivent dans des baraques en bois ou dans des cabanes.
Il semble que les contrevenants n'aient finalement eu que des amendes à payer. Il est vrai que, pour les Génois, le danger s'éloignait. Rinuccio della Rocca était mort en 1511 et Giovan Paolo de Leca en 1515. La disabitazione avait foudroyé leurs partisans.
En 1516, le repeuplement fut autorisé dans la pieve de Sia (Ota). En 1517, une lettre du chanoine de Sagone, Giovan Francesco delle Cristinacce, demande que Letia en bénéficie également. Elle semble avoir reçu un accueil favorable, et on peut supposer que les villages voisins, comme POGGIOLO, en ont profité.
La preuve du renouveau est en tout cas fournie par Agostino GIUSTINIANI, évêque de Nebbio depuis
1515, qui, en 1530, dans sa "Description de la Corse", parle du village de "Podiolo" et d'un autre plus petit, les "Soprane".
Cette vivacité justifie l'antienne que plusieurs générations ont entonnée:
Poggiolo est bâti sur roc,
Poggiolo ne périra pas.
Mais combien de familles poggiolaises ont-elles complètement
disparu? Combien sont-elles à être revenu es de ces exils? Combien de Poggiolais d'aujourd'hui ont-ils des ancêtres qui vivaient au village avant ces "années
zéro"?
P.S.: Pour SOCCIA, Jean-Baptiste PAOLI, dans "Histoire d'un petit village de montagne au
cœur de la Corse du Sud", relève que le registre des tailles de 1537 compte vingt-trois
feux, ce qui montre que ce village avait alors lui aussi retrouvé son
importance.
(à suivre)
(1) les Soprane étaient une partie de Poggiolo dont il reste encore une petite trace dans le maquis au-dessus du village actuel et qui comptait 14 feux sur le registre des "taglie" de 1537.
(2) Malheureusement, les ouvrages qui ont servi à rédiger cet article n'en recopient pas la liste.