La seconde année zéro se produisit trente ans après la première, en 1489.
Un degré supplémentaire dans la violence génoise est atteint en 1489, devant la persistance de l'agitation dans la "Terre des seigneurs".
A la suite du soulèvement suscité par Giovan Paolo di Leca pendant l'été 1488, le Génois Ambroggio de Negri, nommé commissaire dans Outre-Monts, débarqua à Bastia en octobre. En mars 1489, après la prise de Foce d'Orto et de la reddition de Ranuccio à la Zurlina, au-dessus de Murzo, l'armée génoise est maîtresse du terrain (voir l'article "La fin de la Cinarca").
Aussitôt, avant même le nouvel exil de Giovan Paolo, Ambroggio de Negri alla plus loin que Spinola. Il révéla son programme:
"il faut dépeupler la région de Cinarca et peupler Aiacciu (ville fondée par les Génois pour contrôler l'Au-Delà des Monts), construire une forteresse dans la ville, et éliminer complètement la race des Leca".
Il appliqua sauvagement la politique de disabitazione qui visait à détruire les villages cinarcais et à déporter leurs populations. Poggiolo en est victime, comme tous les villages de Sorro-in-sù.
Les archives de la Banque de Saint Georges conservent plusieurs lettres sur ce sujet (reproduites dans la revue "Corse historique", 1er et 2ème trimestres 1962).
- En mars 1489, Ambroggio écrit que "finit le terme assigné dans le commandement" qu'il "a fait aux habitants de Sorno-in-sù (Sorro-in-sù) et de Crutino (Cruzzini) d'avoir à quitter leurs montagnes pour venir habiter Celavo et Cinarca". Les Protecteurs (dirigeants de la Banque) indiquent qu'ils ont appris "la "dépopulation" de tout le pays depuis Sorno-in-sù, à savoir de Goalvi et d'autres villages de la piève de Croce, d'Evisa et des Chrestianaghe".
- Le 30 avril, Ambroggio demande "d'expédier des outils pour détruire les maisons des pièves qu'ils vont faire évacuer".
- Le commissaire n'a pas besoin de beaucoup de temps pour dressser son tableau de chasse. Il écrit que l'on a dépeuplé les pièves de Sevinentro et de Sorro-in-sù, ainsi que celle de Crutino, dont les populations ont été dispersées par toute la Corse. La piève de Vico a été traitée de la même façon. En tout, quatre pièves comprenant environ 1.200 feux, en y incluant Chioni, Filasormo et Liciola, dont les terres ont été dévastées et la population transplantée.
- Il en est de même dans la piève de Cinarca: "De la Pieve di Cinarcha abiamo dessabitato Sari et Lopigna et Arro che sono foco cento cinquanta", ce qui signifie que 150 familles furent chassées de la montagne vers la marine. Même chose pour les villages de Tavacho, Vero et Murcho, dans la piève de Celavo.
Grâce à de tels états de service, Ambroggio de Negri pourra bénéficier d'une faveur exceptionnelle. Les Protecteurs de Gênes décidèrent le 4 mars 1490 l'érection d'une statue (la première dédiée à un Génois vivant) au palais San Giorgio, qui fut commandée au sculpteur Michele d'Aria.
Les habitants survivants revinrent plus ou moins vite. Ainsi, en 1491, le gouverneur génois signale que Sagri (Sari), avait été reconstruit sans autorisation après la destruction de ses maisons en 1489 ("La Corse au XVe siècle" d’A Franzini, Ed. Piazzola).
(à suivre)