En se retournant sur les mois passés, on peut se rendre compte que l'année 2012 a été très riche dans la zone des Deux Sorru. Un exemple en est fourni par les fouilles archéologiques de la cathédrale de Sagone. Le bilan en avait été donné très tôt, dès le 19 juillet, dans "Corse-Matin" d'où sont tirés le texte et les photos suivantes.
Daniel ISTRIA a lui-même présenté les fouilles qu'il dirige dans les pages 7 et 8 numéro d'août du mensuel "INSEME" que l'on peut consulter en cliquant ICI. Le chercheur signale que les objets découverts sur le site de Sant'Appianu sont déposés au Musée archéologique de Sartène.
Le squelette d'un enfant gît sur des tuiles, dans le fond de la tombe. Plus de seize siècles séparent les restes de ce petit
garçon âgé de 4 ans, au moment de sa mort, de l'équipe d'archéologues qui vient de le découvrir. Et pourtant, l'émotion est palpable sur le site de l'ancienne cathédrale de Sagone. De la vie de
cet enfant anonyme, les chercheurs ne sauront rien. Seules quelques traces de porosité sur son crâne trahissent la cause probable de son décès : une anémie thalassémique.
Le sol autour de l'édifice religieux regorge de tombes et de témoignages des siècles. C'est bien ce que Daniel
Istria est venu exhumer en terre des Deux-Sorru. Chargé de recherches au CNRS, il dirige une campagne de fouilles sur le site de Saint-Appien depuis 2007 en compagnie d'étudiants en archéologie
venus d'universités continentales. Des fouilles programmées et autorisées par les services de la direction régionale des affaires culturelles (Drac).
Pourquoi un évêché à Sagone ?
Comme sur chaque chantier, les questions se bousculent. L'une d'elles préoccupe Daniel Istria : comment un siège
épiscopal a pu être installé au IVe siècle dans une zone rurale éloignée de tout ? Ici comme ailleurs, la réponse est dans le sol. Et ce dernier parle bien plus que l'on ne croit, même 1 700 ans
plus tard. Une ancienne villa romaine, un baptistère et une nécropole ont commencé à livrer leurs secrets. Avec parcimonie.
Les deux premiers éléments avaient déjà fait l'objet d'études à partir des années soixante. Devant la cathédrale
ruinée, Daniel Istria explique l'histoire des lieux situés à 200 mètres du rivage : « Au IVe siècle, le site a vu la construction d'un établissement rural de type villa. Un peu plus loin,
vers le littoral, se trouvaient des bains, des logements pour des esclaves et (ou) des paysans et une nécropole », développe le chercheur en montrant les alentours.
Autour de la cathédrale, les archéologues ont commencé à remuer la terre… à coups de pinceau. Histoire de
comprendre et de reconstituer l'organisation du site en douceur. Au Ve siècle, les abords immédiats de la bâtisse accueillent une nécropole avec un mausolée. L'espace privé était-il déjà de rite
chrétien ? « Il est impossible de l'affirmer pour l'instant », regrette l'archéologue. Car ce n'est qu'entre le Ve et le VIe siècle que la première église voit le jour sur les ruines de
la « villa ». Aucun doute n'est permis, l'établissement est dédié à Saint Appien, ancien évêque africain. Une inscription retrouvée sur une tuile le confirme : Sanctus Appianus iubante Deo Paulus
fecit (Saint Appien, réalisé par Paulus, selon la volonté de Dieu). L'édifice annonce la fondation du siège épiscopal et donc de la cathédrale. Le pape Grégoire le Grand l'évoque dans une lettre
adressée à Léon, futur évêque de Sagone, en 591. Pourquoi choisir Sagone pour édifier un évêché ? « Mariana et Aléria ne pouvaient pas couvrir toute la Corse. De plus Sagone est déjà un
relais local, en particulier maritime, avec l'extérieur », ajoute Daniel Istria. Dans le baptistère cruciforme, pourtant déjà fouillé, l'équipe d'archéologues a mis au jour le trône
épiscopal et pas moins de trente-huit monnaies de la fin du VIe siècle.
64 tombes étudiées
Une fois le mausolée abandonné, les occupants du lieu ont eu la bonne idée d'y entreposer des poubelles. Une
mine d'or pour les scientifiques. « L'année dernière, nous avons pu découvrir de la céramique de la région de Carthage, des monnaies, des perles, des boucles de ceinture ou des lampes en
verre », précise Daniel Istria. Puis, à partir du VIIe siècle, plus rien. Le sentiment que l'activité s'est totalement arrêtée jusqu'au Xe siècle. C'est dans les strates de cette période que
l'équipe a découvert soixante-quatre tombes.
L'occasion pour Anne-Gaëlle Corbara, doctorante à Aix et spécialiste en archéoanthropologie, d'entrer en jeu. À
chaque fois, les nombreux ossements d'adultes, enfants et adolescents sont nettoyés et examinés à la loupe. « Mais ils ne nous ont rien appris de nouveau pour l'instant »,
souligne-t-elle. Des morts qui ne demeurent pas silencieux car ils ont permis de découvrir une véritable économie liée aux pratiques funéraires.
Malgré la « réactivation » du site religieux au XIIe siècle, Sagone a perdu sa cathédrale au profit de Vico.
Elle ne la retrouvera jamais. Pourtant, son sol regorge de trésors témoignant de la grandeur de l'église primitive qu'il ne suffit pas d'exhumer. L'équipe de Daniel Istria s'emploie aussi à les
faire parler.