La forêt de Libbiu, dont il a été question la dernière fois, avait autrefois un rôle économique important de par l'exploitation de ses arbres et de par l'élevage qui s'y pratiquait. Cette importance explique la poussée de fièvre qui, au XIXème siècle, opposa habitants de Poggiolo et de Rosazia.
Après la création des communes par la Révolution Française, il fallut parfois du temps pour appliquer ce principe dans toute la Corse.
Ce n'est qu'en 1835 qu'eut lieu la délimitation de la forêt domaniale de Libio-Tritorre (orthographe de l'époque et en partie encore utilisée par les cartes de l'IGN) mais la réclamation de Jean-Baptiste MARTINI entraîna un procès, premier épisode d'une opposition entre les deux villages sur l'attribution de ces terrains.
En août 1863, le maire de Poggiolo Jean-Baptiste Etienne DEMARTINI (né en 1832 et décédé en 1897, maire de 1860 à 1867) se plaignit que les gens de Rosazia, mécontents du tracé intercommunal, aient, maire en tête, enclavé les terrains contestés derrière des clôtures qu'ils avaient édifiées.
Le 1er juin 1865, l'escalade prit une tournure plus grave car les habitants de Rosazia mirent le feu à des cabanes de bergers poggiolais à Libbiu.
Voici ce qu'écrivit le maire de Poggiolo dans sa lettre au Préfet de Corse le 2 juin, lettre conservée aux Archives départementales d'Ajaccio:
"Je suis obligé pour le troisième fois de vous écrire pour vous faire connaître la conduite tenue par M. le Maire de Rosazia. Le 1er du courant il s'est rendu à la tête de ses habitants dans la montagne de Libio, propriété qui appartient de temps immémorial aux particuliers de Poggiolo, et a mis le feu aux cabanes et aux bergeries des bergers de Poggiolo bâties en pierre qui y existaient depuis plus de cent années. Les pauvres bergers ont vu consumer sous leurs yeux leurs abris et même le peu de mobilier qu'ils y avaient. Cet acte barbare a irrité les habitants de ma commune. Pour contenir leur indignation, j'ai été obligé à inviter la gendarmerie de Guagno à se rendre sur les lieux du dégât le deux du mois de juin où plus de cinquante hommes de ma commune s'étaient rendu pour demander raison à M. le Maire de Rosazia qui s'y trouvait avec ses habitants."
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L'affrontement physique fut évité et l'affaire retourna entre les mains de la justice.
En mai 1867, le tribunal d'Ajaccio donna gain de cause aux Poggiolais qui se plaignaient d'avoir à payer des impôts à Rosazia. Par là, les juges reconnaissaient que ces terrains étaient sur la commune de Poggiolo.
La décision finale revint, en 1873, à la cour d'appel de Bastia qui fixa les limites de Libbiu entre les deux communes.
Il fallut attendre décembre 1881 pour que le bornage fut réalisé.
Sur cette carte, les lignes jaunes représentent les limites actuelles, désormais non contestées, des communes. Sur les flancs du Ciarbellu, jusqu'au sommet, la forêt de Libbiu est bien poggiolaise. Les conflits sont apaisés.