Il n'était pas possible de parler des traditions de la fête des morts (voir le premier et le second article du
1er novembre) sans évoquer le lieu où ceux-ci reposent. Et, en Corse, les sépultures se firent dans le cimetière mais aussi dans l'arca.
L'arca était une tombe collective, sorte de chambre souterraine voutée à
orifice étroit fermé par une dalle de pierre, accolée à l'église ou creusée sous celle-ci. Elle permettait aux croyants d'être le plus près possible de l'endroit le plus sacré du village et elle
renforçait le sens de la communauté, unie ici et maintenant comme pour l’éternité. C'est à partir du XVème siècle que s'est répandue, en Corse, la pratique des enterrements dans les églises.
L'arca poggiolaise
Cette coutume fut pratiquée à Poggiolo
comme le prouvent les rapports des visites apostoliques effectuées par les évêques (de Sagone ou du Nebbio) ou de leur délégué (documents étudiés par le Père DOAZAN).
Si en 1587 et en 1589, Mgr MASCARDI écrit que "le cimetière entoure l'église", il
mentionne déjà l'existence de l'arca de Vico. Mgr COSTA décrit un siècle plus tard, en 1698, dans le village, un "pavement de pierre avec trois ouvertures d'arca avec trappe de pierre". Ces trois ouvertures signifient
qu'une était destinée aux hommes, l'autre aux femmes et la dernière aux enfants. Mais, en 1702, le
même Mgr COSTA note que "le cimetière est pourvu d'une croix et bien enclôs".
Il est vrai que la sépulture en arca n'était pas bien vue des autorités ecclésiastiques. Ainsi,
dès le XVI° siècle, la constitution de Mgr SAULI, évêque d'Aleria, imposait d'ensevelir les morts
dans les cimetières et non dans les églises, à moins d'avoir la permission de
l’évêque.
En 1776, un Edit Royal interdisait les sépultures dans les églises insulaires, et en 1789 un Décret de la Révolution ordonnait la
création de cimetières, sans grand succès en Corse.
Les registres de catholicité de Poggiolo permettent de distinguer deux périodes:
- de 1729 à 1756: les inhumations ont toujours lieu "dans l'église" (les
registres utilisent les termes "arca", "nel pavimento", "attraco");
- après 1770 et jusqu'en
1792, les documents précisent:
+ "nel grande sepultura", c'est-à-dire dans l'arca
collective
ou
+ "nel picola sepultura" ou "nel cimeterio", donc en tombe individuelle.
Vers la suppression de
l'arca
Mais, au nom de l'hygiène, les décisions administratives se succédèrent. Par Décret en date du 23 Prairial An XII (12 Juin 1804), Napoléon imposait
l'établissement de cimetières loin des églises et à plus de 40 mètres des
habitations en France. Les Edits préfectoraux de 1810-1812 confirmaient les textes précédents, mais
avec des mesures coercitives. Cependant, des problèmes financiers importants ne permettaient pas aux communes de s'y conformer sur le champ. En 1830, le Préfet de Corse Jourdan du Var
ordonnait la fermeture de toutes les "arce", mais leur usage devait perdurer encore
de nombreuses années.
L'arca du couvent de Vico servit à enterrer les 40 habitants d'Arbori victimes du choléra en 1816.
Dans une autre partie de la Corse, celle de Zevaco fut exceptionnellement réutilisée pendant l'épidémie de grippe espagnole, de mai 1918 à janvier 1919.
Elle est maintenant classée monument historique.
Il est difficile de donner la date exacte de l'abandon de l'arca de
Poggiolo.
Pour Soccia, où il existait aussi
une arca en deux ou trois parties, l'étude publiée voici quelques années par Jean-Baptiste PAOLI indique que la première inhumation dans le cimetière communal eut lieu en 1812.
Saint Siméon contre
l'arca
En tout cas, le prestige de l'arca dura longtemps comme le prouve l'anecdote de la
destruction de l'ancienne église de Saint Siméon.
L’évêque d’Ajaccio avait accepté la destruction de l’église (décidée par le conseil de fabrique
de la paroisse en 1863). Mais rien ne se fit immédiatement. Finalement, un dimanche, à la sortie de
la messe, Jean-Antoine FRANCESCHETTI (1831-1922) demanda: «Alors, on la détruit ?». Personne n’avait l’air décidé, car dans l’église se trouvait toujours la fosse de l’arca et y touchait semblait sacrilège. Finalement, quelqu’un dit à Jean-Antoine de
commencer. On lui donna une pioche. Il attaqua le mur avec résolution. Au bout d'un moment, un, puis deux autres, puis tout le monde finit par faire comme lui et l’église fut démolie. A sa place,
fut construite l’actuelle église Saint Siméon.
Aujourd'hui, il ne reste plus rien de l'arca, même pas la dalle qui la recouvrait (le couvent
St François conserve des dalles de certaines familles vicolaises).
Le cimetière de la commune ne fut pas accepté facilement et
certaines familles utilisèrent leurs propres propriétés pour inhumer leurs parents, les plus aisées édifiant même des chapelles funéraires isolées mais pas trop loin de l'église.
Ces bâtisses affirmaient la puissance de ces lignées, et aussi permettaient de rendre les terrains inaliénables. "On ne vend pas les morts !", comme dit un proverbe.
Visibles ou invisibles, les morts restent parmi nous et leurs tombeaux nous montrent d'où nous
venons, quelles sont nos racines. Nous sommes les héritiers d'une histoire et d'une communauté.
Bibliographie:
- "Le couvent Saint François de Vico" par le R. P. Louis DOAZAN (ed. Alain Piazzola)
- "Soccia. Santa Maria delle grazie. A nostra ghjesgia" par Jean-Baptiste PAOLI (dactylographié, avec l'aide d'"A Mimoria")