Le but de l'expédition militaire qui se préparait à Marseille fut dévoilé dimanche 8 novembre 1931.
Le Petit Marseillais de ce jour-là titra dans ses pages locales: "D'importantes forces de gendarmerie partent pour la Corse".
Le titre du Petit Provençal précisait:
"LA CAMPAGNE DU MAQUIS
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Une action de grande envergure va être menée contre le banditisme en Corse
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Près de six cents garde-mobiles se sont déjà embarqués, hier"
L'expression "La campagne du maquis" donnait l'impression qu'une véritable guerre avait commencé et qu'elle devait durer assez longtemps. D'ailleurs, Le Petit Marseillais n'hésita pas à écrire que "le môle E Nord a été animé d'une activité qui rappelait le temps déjà lointain de la guerre".
POURQUOI FAIRE ?
L'article commençait par la justification de l'expédition:
"Après la sanglante tragédie de Bologna (sic! au lieu de BALOGNA), le gouvernement a pris des mesures énergiques pour tenter de réprimer l'action du banditisme en Corse. L'envoi du corps expéditionnaire avec un complet matériel de guerre pour lutter contre les hôtes indésirables du maquis indique la lutte sérieuse que le gouvernement a l'intention de mener. Jusqu'ici les gendarmes qui auraient la périlleuse mission de lutter contre les bandits ne disposaient que de moyens bien faibles."
En fait, ce raisonnement ne tient pas car la fusillade de BALOGNA avait eu lieu le 2 novembre. Réussir à monter et à faire partir une telle expédition en cinq jours aurait été un véritable exploit. D'ailleurs, le journaliste, qui signe J. T., se contredit trois paragraphes avant la fin du texte en révélant: "Nous croyons savoir que les opérations seront dirigées par le général Huot, commandant la XVe région de gendarmerie, qui, dès mercredi dernier, s'est rendu en Corse, en hydravion". Ce mercredi était le 4 novembre.
UN PROJET ANCIEN
En réalité, le projet était bien plus ancien. Dans sa communication sur "La presse française continentale et l’extermination des bandits corses en 1931", au colloque sur "LE BANDITISME ET LES REVOLTES DANS LES PAYS MEDITERRANÉENS" (octobre 1981), Ralph SCHOR écrit: "A vrai dire, depuis le milieu de 1930, un policier, le commissaire Natali, avait été chargé de rassembler un maximum de renseignements sur les criminels et de préparer l'intervention des forces de l'ordre".
Le gouvernement était présidé depuis janvier 1931 par Pierre LAVAL, qui était aussi ministre de l'Intérieur, et comprenait deux élus corses: François Piétri au Budget et Adolphe Landry au Travail et à la Prévoyance Sociale. Nul doute que tous les trois avaient discuté du projet depuis un bon moment.
Il est à noter que le couplet sur les faibles moyens des gendarmes ne tenait pas beaucoup alors que les pandores corses venaient d'éliminer CAVIGLIOLI et BARTOLI les jours précédents.
LE CORPS EXPÉDITIONNAIRE
De quoi se composait ce véritable corps expéditionnaire?
Le Petit Provençal était assez disert sur le sujet:
"un matériel considérable de tanks, d'autos-mitrailleuses, de mitrailleuses, appareils à gaz, grenades; etc...
Le contingent comprenait plus de cinq cents gardes mobiles avec armes et bagages. Un colonel et plusieurs officiers commandent le détachement."
Le journal du lendemain comptera: "vingt camions automobiles pour assurer le ravitaillement, cinq autos blindées et un avion".
Tout ce monde-là monta sur le cargo "El Djem" et une partie du matériel fut transportée sur le "Dougga".
Même si J. T. écrit que "le commandant du navire avait reçu un pli cacheté avec l'ordre de ne l'ouvrir qu'en mer", la destination était un "secret de polichinelle".
Dans la chronique maritime du Petit Marseillais, le départ de "El DJEM" est marqué mais le nom du port de destination est remplacé par la mention "p. la mer" (p. veut dire "pour").
UN BATEAU LÉGENDAIRE
A propos du bateau, une légende se retrouve dans de nombreux ouvrages sur cette répression.
On peut souvent lire, et encore dans de toutes récentes études, que les policiers embarquèrent sur "Le Djebel". Certains y voient même une illustration de la situation quasi-coloniale dans laquelle la Corse était réduite. En réalité, le navire réquisitionné s'appelait "El DJEM", du nom d'une ville tunisienne célèbre pour son amphithéâtre, le plus grand de l'Empire romain après le Colisée de Rome et celui de Capoue.
La coupure de presse nous apprend que ce cargo de 1.500 tonnes appartenait à la Société maritime Coloniale et était commandé par le capitaine Briand.
Une photo de ce navire est au centre de l'article avec d'ailleurs une erreur: le cargo est qualifié de paquebot.
GÊNES ET LE MAQUIS
Dans le deuxième article de son étude sur "le problème du banditisme", paru le 8 novembre dans Le Petit Marseillais, Léon BANCAL démontra que "le banditisme est un produit de l'histoire et de la géographie". Il dénonçait les Génois qui "ne songeaient qu'à s'enrichir, si bien qu'ils en arrivèrent à mettre la justice en vente", suscitant la vendetta. Le bandit pouvait se cacher dans le maquis, "refuge préparé par la nature".
Mais, les Génois étant partis, pourquoi le banditisme existe-t-il toujours?