Le début du XXème siècle, fut un "âge d'or" pour Guagno-les-Bains, au moins jusqu'à l'attaque sanglante du 17 août 1931.
Même après la fermeture de l'hôpital militaire en 1883, le hameau recevait de nombreux curistes et touristes. Le "Guide bleu" de 1939 écrivit que ce lieu "est non seulement une station thermale très fréquentée, mais aussi une villégiature et un centre d'excursions recommandables dans une contrée accidentée et pittoresque.". Et d'énumérer ensuite les hôtels du lieu:
- Grand Hôtel Continental (ouv. toute l'année; autos et calèche à Vico à l'arrivée de l'autobus t. l. j. pendant la saison; gar.)
- Central
- de la Terrasse
- Martini
- Villa des Fleurs
- de l'Etablissement thermal (du 1er juin au 30 septembre)
Il faisait bon vivre à Guagno-les-Bains mais, voici 90 ans, un drame troubla la fête et fit une très mauvaise publicité à la station thermale. Ce fut le 17 août 1931.
Reprenons le récit qui parut le 24 août dans "Le Petit Provençal", journal marseillais qui avait une importante rubrique corse.
"Mardi dernier, vers 9 heures du matin, le bandit CAVAGLIOLI François et ses deux neveux TORRE Jean-Baptiste et CAVAGLIOLI Toussaint - ce dernier âgé de 17 ans - sont arrivés à GUAGNO-les-BAINS. Ils étaient tous trois armés de fusils et de pistolets avec cartouchières garnies.
Dès leur arrivée dans cette station d'été, très fréquentée par les malades et les estivants, ils sont allés aux hôtels Casta, Martini Pascal et au débit Leca. Sous la menace de leurs fusils braqués dans la direction des patrons de ces établissements, ils ont exigé le versement de sommes variant de 1.000 à 5.000 francs.
Après quoi, le bandit CAVAGLIOLI François a posté ses deux neveux au coin de l'établissement thermal tenu par M. Michel SIMONGIOVANNI et lui-même est rentré dans la cour de l'hôtel, a fait lever les mains en l'air aux clients de l'établissement qu'il a rencontrés, puis se plaçant au bas d'une fenêtre, il a appelé le patron: "Michel! Michel!", son fusil braqué dans la direction de la fenêtre où le propriétaire était susceptible de paraître."
Michel SIMONGIOVANNI, concessionnaire de l'établissement, avait refusé, quelque temps auparavant, le racket établi par le bandit et avait déclaré: "Plutôt que de verser à Caviglioli la somme qu'il me réclame, je suis prêt à lui flanquer cinq balles dans le front" (extrait de Jean BAZAL "Avec les derniers bandits corses", 1973).
Le quotidien raconte ensuite:
"Ce dernier n'ayant pas répondu, CAVAGLIOLI s'est retiré et, de la route, ses neveux et lui ont tiré une trentaine de coups de fusils sur les fenêtres de l'établissement.
Notre malheureux concitoyen, M. Antoine GUAGNO, qui se trouvait dans sa chambre avec sa jeune femme, atteint à la tête par une balle, fut foudroyé."
Certains textes, mis en référence par Pierre LECCIA sur GENEANET dans sa notice sur Antoine GUAGNO, évoquent l'imprudence de la victime qui se serait mise à la fenêtre pour regarder ("Le Figaro", 26/08/1931, p. 4) ("L'Humanité", 26/08/1931, p. 1) ("Ric et Rac", n° 140, 14/11/1931, p. 2). Les articles se partagent pour localiser l'impact de la balle (tête ou cœur).
Antoine GUAGNO était né en 1900 à Ajaccio où son père Sébastien dirigeait un important garage. La publicité ci-dessous est extraite de la revue "A Muvra".
Le journal continue:
"Avant de se retirer vers les collines de LETIA, les bandits ont mis le feu au pré qui s'étend en contrebas de l'établissement thermal."
Il s'agit du terrain sur lequel a été ensuite construit l'Hôtel des Thermes.
Cet article fut complété le 26 août par le même journal qui, dans un nouveau récit de l'événement, donna des détails supplémentaires sur la fuite des bandits:
"En s'éloignant, les malandrins croisèrent sur leur route le capitaine LECA et M. OTTAVI qui, avec leurs épouses, se rendaient à la source sulfureuse. Sous l'œil noir des fusils, les quatre personnes furent en un tournemain dépouillées de leur argent et de leurs bijoux.
Quelques heures plus tard, le receveur des Postes de Vico recevait à son tour la visite des bandits qui le prévinrent qu'ils lui interdisaient, sous peine d'être tué sans pitié, de donner à qui que ce soit la communication téléphonique pour Ajaccio."
"All in all it was a successful day for les Caviglioli" (traduction: "Dans l'ensemble, ce fut une journée réussie pour les Caviglioli"), écrivit ironiquement, dans un article intitulé "Again Caviglioli" (voir ICI), le magazine américain "TIME" du 7 septembre 1931 (car l'affaire de GUAGNO-les-BAINS n'eut pas seulement un retentissement français mais véritablement international).
Mais l'affolement était général à GUAGNO-les-BAINS. "Le Petit Provençal" du 24 août continuait par le paragraphe suivant:
"Dans la soirée, toutes les voitures qui se trouvaient à Guagno et dans les environs ont été réquisitionnées pour permettre aux estivants et aux malades de quitter GUAGNO-les-BAINS qui est complètement désert à l'heure actuelle."
Didier DAENINCKW décrit cette désolation dans son roman «Têtes de Maures» paru en 2013 :
« La panique s’empara des curistes, des vacanciers. Un véritable exode précipita des centaines de familles sur les quais d’embarquement d’Ajaccio. En quelques jours, le bourg de Guagno-les-Bains fut déserté, on dut rapidement fermer les restaurants, les pensions de famille, on licencia le personnel des thermes, les services de voitures depuis Vico ou Ajaccio furent interrompus, et tous ceux qui travaillaient la terre, qui élevaient de la volaille, pétrissaient la pâte, réduisirent leur activité. »
Guagno-les-Bains n’a plus jamais retrouvé son «âge d’or». L’attaque du 17 août 1931, qui eut une si grande importance, est maintenant bien oubliée. Ne serait-il pas utile qu’une plaque posée sur un mur des thermes rappelle la mémoire d’Antoine GUAGNO, victime innocente de la brutalité et de la stupidité de certains ?
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