Si elle avait pu "bouter les Anglais hors du royaume de France" au XVe siècle, Jeanne d'Arc est chassée cette année par le coronavirus.
Plus exactement, les cérémonies qui étaient prévues au mois de mai en son honneur ont dû être annulées alors qu'elles devaient être particulièrement importantes.
En effet, 2020 marque à la fois le centenaire de la canonisation de "la bonne Lorraine", comme la nomma François Villon, et de l'instauration de sa fête comme fête nationale du patriotisme.
L'Eglise reconnut Jeanne d'Arc comme sainte le 16 mai 1920, sa fête étant placée au 30 mai, anniversaire de sa mort sur le bûcher de Rouen. En 1922, elle fut proclamée sainte patronne secondaire de la France.
La même année, sur proposition de Maurice Barrès, la loi du 10 juillet créa une fête nationale du patriotisme fixée au "deuxième dimanche de mai, jour anniversaire de la libération d'Orléans".
Il n'est donc pas étonnant d'avoir, comme dans presque toutes les églises de France continentale et de Corse, une statue de Jeanne d'Arc dans l'église Saint Siméon de Poggiolo.
Elle est placée dans la chapelle placée dans le bras droit du transept (la plus proche du chœur). La sculpture de celle qui permit le sacre de Charles VII à Reims est placée à gauche, entre le tableau du baptême de Jésus et l'autel dédié à saint Jean-Baptiste.
Leca Anna-Maria ; Medurio Noelle, “église Saint-Siméon,” Médiathèque Culturelle de la Corse et des Corses
Il faut reconnaître qu'elle n'est pas un chef d'œuvre.
Des nationalistes corses peuvent s'offusquer de la place faite à "la sainte de la patrie" (de la patrie française), à l'instar de Christian Mondoloni qui, à la page 187 de son livre "Corse: Indépendance", écrit:
L'Eglise catholique corse avait été l'une des colonnes de soutienne la révolution au XVIIIe siècle. Elle fut mise au pas dès le commencement de l'occupation, cette politique fut accentuée au moment de la Révolution française, poursuivie jusqu'à nos jours. Rome en Corse se couche, depuis, devant les exigences de Paris. A la fin du XIXe et au début du XXe siècles l'évêché d'Ajacciu astreignit toutes les paroisses à installer dans les lieux de cultes des statues de Jeanne d'Arc, sainte politique proclamée en 1922 sainte patronne secondaire de la France. Elle exalte le nationalisme français, ses statues sont inexistantes hors de France. Cette sainte étrangère à la catholicité des Corses fut brûlée par les Anglais en 1431 soit 338 ans avant que les Français n'envahissent et n'occupent la Corse.
Cette démonstration contient une erreur chronologique. Jeanne d'Arc a été canonisée en 1920. Elle a bien été béatifiée en 1909 mais il n'est pas possible de penser que des statues à son effigie aient été installées dans des églises avant sa béatification.
Pour Poggiolo, un document prouve que Jeanne d'Arc n'était pas présente à Saint Siméon en 1905. Cette année-là, alors que la loi de séparation entre l'Eglise et l'Etat était en discussion, "l'évêché [d'Ajaccio], pour contrer la "spoliation" annoncée, lança une enquête diocésaine destinée à dresser l'état des paroisses et à inventorier leurs biens" (Michel CASTA, page 193, dans "Histoire de la Corse", tome 2, dirigée par Antoine-Marie GRAZIANI, ed. Piazzola).
La liste de Poggiolo, rédigée le 2 juin 1905 et signée par les membres du conseil de fabrique (on distingue bien les noms de Desanti, Franceschetti et Pasquilini parmi les signataires), est très précise, détaillant chaque objet, avec sa valeur marchande, ainsi que la nature (don ou achat) et la date de son acquisition.
Aucune statue de Jeanne d'Arc n'est mentionnée. L'actuelle est venue plus tard, après 1905.
Que Jeanne d'Arc n'ait pas été Corse ne pose aucun problème pour un catholique qui invoque des saints de toutes les époques et de toutes les origines.
Quant à son instrumentalisation au profit de la francisation de la Corse, la question peut être posée et débattue mais cela dépasse le cadre de ce blog.