Voici deux siècles, le 28 février 1818, un petit cortège suivit le cercueil du maître d’hôtel de Napoléon Ier jusqu’au cimetière anglican de Country Church où il fut enseveli. La scène se passait sur l’île de Sainte-Hélène où l’ex-empereur était prisonnier des Anglais.
Le compagnon de captivité qui était porté en terre était Jean-Baptiste, dit Franceschi, CIPRIANI, décédé la veille. Il était originaire de Guagno, pieve de Sorru in Sù ou canton de Soccia.
Comment un Sorrinesu se trouva-t-il si proche de Napoléon? Pour le savoir, il faut raconter une histoire très particulière avec plusieurs péripéties et beaucoup de mystères.
Né à Guagno
Jean-Baptiste CIPRIANI, qui fut ensuite surnommé Franceschi, naquit à Guagno en 1773. Certaines sources disent «entre 1770 et 1780». Pour le savoir avec certitude, il faudrait dépouiller les registres de baptêmes guagnais. Ils ont été numérisés et sont disponibles sur internet mais il faut arriver à les lire.
Un de nos lecteurs pourrait-il trouver l’acte de baptême de Jean-Baptiste?
Jean-Baptiste était un enfant naturel dont la mère guagnaise n’est pas connue. Certains disent que son père serait Christophe SALICETI (on écrit parfois SALICETTI). Le fait est douteux mais il est certain que CIPRIANI fut très proche de SALICETI.
Cet avocat fut député de Corse à la Constituante et à la Convention. Il fit voter, avec l'appui de Mirabeau, le principe de l'intégration de la Corse à "l'Empire français" le 30 novembre 1789. Il fut le seul des six députés corses à voter la mort de Louis XVI. Il était proche de ROBESPIERRE et, en Corse, ami de la famille BONAPARTE, au sein de laquelle le jeune Jean-Baptiste fut élevé.
Dans l’ombre de Saliceti
Devenu représentant en mission en Provence et surveillant les opérations du siège de Toulon en 1793, SALICETI, accompagné de Franceschi, fit donner le commandement de l’artillerie républicaine à Napoléon BONAPARTE. Ce fut le début de la carrière du jeune officier corse.
Après avoir été ambassadeur à Gênes, SALICETI vint en 1806 à Naples dont la couronne avait été donnée à Joseph, frère aîné de Napoléon. Il devint ministre de la police et de l’armée du royaume. CIPRIANI, lui servant alors d’homme à tout faire, joua un rôle important en 1808, dans la capitulation de l’île de Capri occupée par les troupes anglo-corses des Corsican Rangers sous le commandement de Hudson LOWE. Jean-Baptiste retrouva ensuite (curieuse coïncidence) l’officier anglais à Sainte-Hélène où il fut le geôlier de Napoléon Ier.
SALICETI, détesté par les Napolitains, étant mort mystérieusement, peut-être empoisonné, en 1809, son fils présumé monta à Gênes, peut-être avec l’aide financière du cardinal FESCH, oncle de l’empereur, une compagnie maritime assez prospère. Servit-elle de couverture pour des activités clandestines?
De l’île d’Elbe à Sainte Hélène
Brusquement, en 1814, après la première abdication, CIPRIANI abandonna son affaire pour suivre, avec femme et enfants, Napoléon à l’île d’Elbe et devenir son maître d’hôtel. Il semble avoir alors accompli des missions secrètes, peut-être pour préparer le retour de BONAPARTE en France. Il aurait été vu à Vienne où se déroulait le congrès préparant la nouvelle carte de l’Europe.
En juillet 1815, il laissa définitivement sa famille pour suivre l’empereur déchu à Sainte Hélène. Son épouse, Adélaïde CHARMANT, mourut la même année que lui. Ses enfants restèrent en Italie, le fils sous la protection du cardinal FESCH et la fille sous celle de Laetitia, la mère de Napoléon.
Avec son titre officiel de majordome, CIPRIANI circulait assez librement dans l’île-prison et servait d’informateur à l’ancien empereur, bloqué à Longwood.
Le 27 février 1818, pris de douleurs intestinales, il décéda au bout de deux jours d’agonie. Son enterrement fut consigné sur le registre de Sainte-Hélène sous le nom de "Cipriani Steward to Genl Bonaparte".
Mais son histoire ne s’est pas arrêtée là.
Certains prétendent que, peut-être depuis l’affaire de Capri, Franceschi était au service de l’Angleterre. Il aurait poussé Napoléon à quitter l’île d’Elbe pour que les Anglais puissent s’en débarrasser définitivement.
Sa tombe est introuvable car le cimetière de Country Church a été très mal entretenu. Cette disparition contribue à la légende selon laquelle Napoléon aurait été empoisonné. Le corps rendu à la France en 1840 et inhumé aux Invalides serait en réalité celui de son serviteur.
En 2007, un historien a même prétendu que le masque mortuaire conservé au Musée de l'Armée ne serait pas celui de l’empereur mais de CIPRIANI, dont on ne connaît aucun portrait.
Les réponses aux diverses interrogations ne seront peut-être jamais trouvées mais le destin de cet enfant de Guagno fut sans conteste absolument unique.
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Sources internet utilisées:
Geneanet: fiche Cipriani
L’autre Sainte-Hélène: les domestiques de Longwood
la Corse militaire: Corsican Rangers
Libé: un masque agace le musée des armées
napoleon.org: la tombe de Cipriani a-t-elle disparu?
Napoléon prisonnier: Cipriani
Wikipedia: