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Les urnes, ces boîtes dans lesquelles sont recueillis les bulletins lors d'une élection sont censées demeurer dans la salle du bureau de vote. Mais certaines peuvent avoir une humeur vagabonde.
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Nous avons déjà vu que, en 1878, l'urne poggiolaise était partie de l'école pour le domicile du maire avant d'aller à la mairie. En 1930, elle a accompli un voyage plus long, jusqu'à Nice.
UNE ARITHMÉTIQUE PARTICULIÈRE
Des élections municipales eurent lieu le 5 mai 1929 dans toute la France.
A Poggiolo, six candidats furent déclarés élus, les autres sièges devant être pourvus au second tour, le 22 mai.
Mais une douche froide intervint le 12 juillet quand le conseil de préfecture interdépartemental de Nice annula l'élection de conq conseillers municipaux.
Cette juridiction releva que, sur les 184 électeurs inscrits à Poggiolo, il y eut 88 votants. Pour être élu au premier tour, il faut obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés mais aussi le quart des inscrits. 46 voix auraient été nécessaires. Seulement, les membres du bureau avaient laissé voter deux incapables, c'est-à-dire deux personnes frappées d'incapacité légale (peut-être pour avoir subi une condamnation judiciaire).
D'après le conseil de préfecture, il falllait donc "déduire 2 suffrages, tant du nombre des votants que du nombre des voix obtenues par les candidats proclamés". Du coup, "ces déductions opérées, le sieur CECCALDI seul garde un chiffre de voix qui n'est pas inférieur au quart des électeurs inscrits et (...) les autres candidats proclamés ne peuvent être maintenus en qualité de conseillers municipaux".
Le seul reconnu comme élu du premier tour était Jean-François CECCALDI, maire depuis 1912.
Les conseillers invalidés (Pascal-Antoine MARTINI, Antoine-Dominique FRANCESCHETTI, PINELLI, DESANTI et CANALE) firent appel au Conseil d'Etat. Celui-ci rejeta leur protestation le 7 février 1930.
De nouvelles élections durent être organisées le 30 mars 1930 pour attribuer les cinq sièges.
UNE URNE TRÈS VOYAGEUSE
Ce jour-là, la tension était intense et des incidents se produisirent quand un homme qui avait déjà voté dans la commune de Serriera vota aussi à Poggiolo.
Cette action "eut pour conséquence de créer une agitation générale parmi la population et surtout parmi les électeurs à la faveur de laquelle l'urne fut projetée par la porte et passa par différentes mains ce qui forcément a pu faciliter l'échange de bulletins se trouvant dans l'urne. Cet incident ne permettait plus que les opérations présentassent dès lors toutes les garanties de sincérité.
Manœuvre à la suite de laquelle la majorité du bureau, pour éviter des bagarres possibles à la suite des surprises qui pouvaient surgir au dépouillement, se prononça pour l'envoi de l'urne scelléee en présence de la gendarmerie pour ce requise, à la Préfecture aux fins de dépouillement."
A Ajaccio, il fut estimé plus prudent d'envoyer l'urne à Nice où le Conseil de Préfecture procéda au dépouillement le 3 avril et proclama officiellement les résultats le 9 avril.
Des candidats et des membres du bureau de vote déposèrent une requête en annulation en avançant que le contenu de l'urne avait pu être modifié pendant le désordre de la salle et que le bureau n'avait pas pu accompagner l'urne dans son voyage hors de Poggiolo.
Le Conseil d'Etat accepta cette réclamation et annula une nouvelle fois les élections le 13 février 1931.
Finalement, le 5 avril 1931, furent élus les titulaires des cinq sièges invalidés ainsi que celui d'un conseiller décédé depuis le début de cet embrouillamini. Ouf !
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Il avait fallu deux ans pour obtenir un conseil municipal au complet.
Tout cela parce que, par deux fois, on avait laissé voter des gens qui n'en avaient pas le droit.
Heureusement, tout cela appartient à une époque révolue depuis longtemps…
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