Il y a 120 ans, comment vivaient les curistes qui passaient l'été à Guagno-les-Bains?
Un texte permet de le savoir. Il a été publié en 1989 dans le numéro 2 du bulletin de l'association A Mimoria. Le regretté Jean-Baptiste PAOLI, l'historien de Soccia, participa souvent à cette "association de recherche en histoire locale de la Corse" fondée en 1984.
Lisez cette description d'un monde qui paraît maintenant bien lointain.
Les phrases écrites en bleu correspondent à des notes qui avaient été ajoutées à la fin du texte.
L’évocation d’un passé révolu :
Guagno-les-Bains vers 1905
Ma grand-mère était une adepte des cures thermales. Elle avait plusieurs « villes d’eaux » en Corse et en Italie, Bagni di Lucca. De plus, l’été venu, pour fuir les chaleurs d’Ajaccio, elle préférait à Vizzavona qu’elle trouvait trop citadin et trop snob (il fallait y porter le chapeau et y faire des visites) le séjour d’un village. C’est ainsi qu’elle fut amenée à connaître Guagno-les-Bains. On y allait à cette époque en voiture à chevaux, bien sûr, et le voyage était bien long. Ce devait être vers 1905, peut-être avant, d’après les souvenirs d’enfance de ma mère qui racontait :
« Il n’y avait pas alors de pont sur le Liamone. On traversait avec un bac sur lequel on embarquait la patache. Je me revois encore dans la voiture découverte, à moitié endormie sur les genoux de ma mère. En entr’ouvrant les yeux, je voyais au-dessus de moi le ciel étoilé… » d’une belle nuit de juillet sans doute !
Que pouvait bien être la vie à Guagno-les-Bains ? Nous n’en avons pas conservé des souvenirs d’une curiste mais seulement d’une petite fille pour qui cette cure était l’occasion de passer quelques merveilleuses journées au village avec sa mère et ses deux frères (Grand-Père y séjournait moins longtemps, semble-t-il).
On était logé à l’hôtel [Il s’agissait de l’hôtel Continental, l’un des sept hôtels que possédait Guagno-les-Bains au début du siècle. La fermeture le 1er juin 1883 n’avait pas empêché la station de survivre.] Ma grand-mère, comme les autres curistes sans doute, avait recours à une femme du village qui nettoyait la baignoire et préparait le bain. Pour la petite Charlotte est ses frères, il y avait les châtaigniers, les promenades à « A Goccia » [A Goccia, petite source, dite « la source des yeux », a les mêmes propriétés que la grande source.].
On devait apprécier la cuisine de l’endroit, puisque Grand-Mère qui a toujours été curieuse d’innover malgré le peu de confort ménager de l’époque à Ajaccio – un « four de campagne » pour les choux à la crème ou le pâté en croûte ! – avait des pourparlers sur telle et telle recette avec le cuisinier de l’hôtel.
Des gens, du village de Guagno sans doute, venaient à l’hôtel vendre aux clients des vanneries. Grand-mère faisait ses provisions, corbeille à pain, corbeille à ouvrage…
Il y avait les soirées mondaines à l’hôtel : on jouait du piano, on chantait, on déclamait. La propriétaire, Madame de la Rocca [Une correspondance a été échangée en 1883 entre Madame Eugénie Veuve Jean de la Rocca et le Préfet pour obtenir la réouverture de l’hôpital militaire, question pendante jusqu’en 1925 où le Président du Conseil tranche de façon négative (renseignements fournis par Louis Gentil], « taquinait la Muse » et dédiait à l’occasion d’un soir de fête ou d’adieu, quelques vers à chacun de ses hôtes. La petite Charlotte, pour qui il ne devait pas être question d’aller se coucher ces soirs-là, a eu droit elle aussi à son quatrain. De longues années après, elle s’en souvenait encore et aimait à nous le redire, mi-amusée, mi-attendrie, ne sachant si elle devait s’émouvoir du dernier vers ou le présenter comme une « cheville » :
Un souvenir aussi à la jolie poupée
Qui nous égayait tous de son rire argentin
Elle est aimée de tous et de tous ( ?)
Qui sait si le bonheur l’attend sur le chemin.
Marie Rose Colonna di Cinarca
© tous droits réservés A Mimoria
Note de la rédaction du blog: il semblerait qu'il y ait une erreur dans le prénom de la propriétaire de l'hôtel qui devait être Maria Lucia. Comme celle-ci est décédée en 1903, ces souvenirs datent d'avant 1905.