Le grand mérite des excellents articles de Pascale CHAUVEAU est de nous montrer des jeunes ont voulu vivre au pays et y travailler en continuant les traditions. Alors qu'il est facile de s'apitoyer sur la désertification de nos villages, la correspondante de "Corse-Matin" pour les Deux Sorru montre souvent des raisons d'espérer.
Ainsi, dimanche 3 février, elle a présenté trois jeunes de Poggiolo, Soccia et Orto qui entretiennent et renouvellent la charcuterie corse.
Au siècle dernier, chaque famille élevait, tuait et charcutait ses propres cochons, et ceux qui n'en possédaient pas achetaient un cochon charcuté ou non", rappelle Philippe Pozzo di Borgo, 31 ans, éleveur à Soccia. Aujourd'hui, ils ne sont plus que quelques éleveurs dans les villages des Dui Sorru à perpétuer une tradition qui permet la production d'une charcuterie de qualité. C’est aussi le cas de Jean-Mathieu Corieras, à Poggiolo, âgé de 27 ans et installé depuis quatre ans.
Le premier a fait sa formation au lycée agricole de Borgo, le second à Corte, mais tous les deux s'accordent sur le fait que, même si les formations sont bonnes, la transmission orale est essentielle. "Le métier, on l'apprend chez ceux qui savent faire", souligne Jean-Mathieu qui, après un stage chez les Rutily à Orto, puis chez Toto Canavelli, à Poggiolo, dont le père était boucher, a bénéficié d’un total de... 75 ans d'expérience.
"Le métier, on l'apprend d’abord chez ceux qui savent faire", souligne Jean-Mathieu Corieras, âgé de 27 ans et installé à Poggiolo depuis quatre ans.
Pourtant, la façon de consommer est différente aujourd'hui. "Autrefois, on pouvait garder les saucissons d'une année sur l'autre. On fabriquait un figatellu spécial, de la taille d'un saucisson, qu'on mangeait le 15 août, rempli dans le tiraculu (le boyau du colon), tandis qu’à Noël on mangeait une mula", se souvient le père de Philippe. Il faut préciser qu'à l'époque la charcuterie était plus salée, pour être sûr de bien la conserver. "E meglio a stupa che a chjità! (il vaut mieux cracher que jeter!)", rappelle Pascal Rutily avec humour, en glissant ce proverbe qui sous-entend que nos anciens mangeaient trop salé... Progressivement, la dose de sel a été réduite de moitié.
Il y a 10 ans, il créait à Orto l'EARL San Liséu, pour perpétuer la tradition et répondre à une demande grandissante de charcuterie artisanale de qualité. Dans ce domaine, la production est vendue avant même d'être fabriquée. Nul besoin de publicité, le bouche à oreille suffit. D'une année sur l'autre, les villageois passent commande, des livraisons réalisées jusqu'à Ajaccio et de nombreux colis expédiés sur le continent pour ravitailler la diaspora en figatelli frais.
A Orto, Pascal Rutily a créé l'EARL San Liséu pour perpétuer la tradition et répondre à la demande croissante.
"E bonu è cio chi piacce"
Comme pour le brocciu ou le fromage, la dégustation de charcuterie artisanale amène toujours la même question: de qui elle est? On goûte, on compare, mais Philippe rappelle un autre proverbe: "e bonu è cio chi piacce (le meilleur c'est celui qui vous plait)". Certains amateurs ne lui achètent que le figatellu, d'autres que le saucisson. Chaque producteur a sa propre spécificité et les goûts varient aussi en fonction des régions : plus on va vers le Sud, plus la proportion de foie dans le figatellu est élevée, si bien que le figatellu de Bastelica, jugé trop fort en goût, déplaît fortement aux gens de Castagniccia...
Pour Philippe Pozzo di Borgo, de Soccia, comme pour les autres producteurs, le passage par l'abattoir garantit une qualité sanitaire et permet de travailler de suite un animal arrivant propre et froid.
Pour Philippe, Jean-Mathieu ou l'EARL San Liséu, un seul mot d'ordre : la qualité. Chacun élève ses propres cochons, majoritairement de race corse, ou en tous cas nés ici, et apporte un soin particulier à l'alimentation des bêtes en milieu naturel ou en enclos fermé. De bons mélanges de céréales, avec surtout de l'orge au moment de la finition, et pas trop de gras ni de cendres pour assurer la qualité de la chair figurent aussi parmi les éléments essentiels. Par ailleurs, malgré un léger surcoût, le passage obligatoire à l'abattoir leur garantit une qualité sanitaire, et permet de travailler de suite un animal qui arrive propre et froid.
Pourtant, "s’il faut de la charcuterie industrielle, précise Pascal Rutily, elle ne doit pas être vendue au même prix!". Son regret? Que trop peu de restaurateurs ou de commerçants jouent le jeu de la qualité. "Certains achètent un peu de charcuterie artisanale, mais ils vendent majoritairement de l'industrielle, relève-t-il. Or, s'il y avait plus de demandes, l'offre s'amplifierait. Surtout si les quelques producteurs que nous sommes dans le haut-canton se regroupaient, comme cela a été fait à Guitera chez Stéphane Paquet, où ils arrivent à produire 800 cochons de manière professionnelle mais traditionnelle néanmoins." L’idée est lancée...
PASCALE CHAUVEAU
commenter cet article …