Pour les bergers de Soccia et de nombreux autres villages corses, la date de la Toussaint était particulièrement importante. Les traditions de ce jour-là sont rappelées par Lucien COLONNA, de Partinellu, et Marius MANENTI, de Soccia, dans "Usi sacri è prufani" (tome 1 de "Pastore di Corsica") par Pierre-Jean LUCCIONI et Philippe WALTER (éditions Alain Piazzola, 2016). Nous en recopions la page 171.
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À Soccia, le jour de la Toussaint, la plus belle bête d'un troupeau était sacrifiée et vendue au profit de l'église du village.
À Partinellu ou à Soccia, le jour de la Toussaint, on entaillait l'oreille d'un bouc ou d'un bélier castré qui était offert à l'église de la paroisse. Une marque spécifique mozzu à e duie arechje (entaillé aux deux oreilles) permettait de l'identifier. On disait de cette bête hè mozza à i Santi (elle a été marquée à la Toussaint). À partir du moment où il était signé, l'animal n'appartenait plus au berger, même s'il restait dans son troupeau. Ces mâles castrés, qui étaient considérés comme des bêtes sacrées, étaient sacrifiés le 13 juin, jour di Sant'Antone et la viande était vendue au profit de l'église di Partinellu.
Colonna Lucien (Partinellu) :
Au début du siècle, mon grand-père, qui était berger, avait signé un bélier le jour de la Toussaint pour l'offrir à l'église du village, le jour di Sant' Antone. Un berger miséreux, avait volé et mangé ce bélier, pensant qu'il n'appartenait plus à personne. Ce geste a été considéré comme un sacrilège par mon grand père qui a préféré ne rien dire au voleur. Quelques semaines plus tard, ce même berger a demandé à mon grand-père de lui prêter quelques béliers pour saillir ses brebis. Mon grand-père a accepté et lui a dit ceci : « je suis très mécontent de toi car tu as volé le bélier signé hè mozza à i Santi (marqué le jour de la Toussaint) réservé à Sant' Antone. Le berger a répondu « I Santi ùn manghjanu » (les Saints ne mangent pas !).
À la fin des saillies au mois de mai, le berger est parti en montagne avec son troupeau. L'herbe avait poussé en abondance. Au mois de septembre, il est revenu au village avec son troupeau bien nourri et en bonne santé. Le soir de son arrivée, il a parqué le troupeau dans l'enclos. Le lendemain plus de la moitié de ses brebis étaient mortes. Mon grand-père est allé voir le berger et lui a dit "avà, i Santi anu manghjatu" (Maintenant les saints ont mangé !).
Manenti Marius (Soccia):
Un mouton ou un bouc, de préférence la plus belle bête du troupeau, était signé a l'anime sante (les âmes saintes) le jour de la Toussaint. Le berger pratiquait une entaille particulière sur l'oreille spuntà l'orechja (écimer l'oreille) pour le reconnaitre et il disait à haute voix "questu sarà par l'anime sante" (ce mâle est pour les âmes saintes).
Au bout de quelques années il vendait l'animal et donnait l'argent au curé en lui demandant de dire des messes pour les gens pauvres. Ces animaux ne sont jamais morts prématurément, ils ont toujours vécu longtemps et ont toujours été bien vendus.
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