Le livre du docteur A. L. A. FÉE sur les voceri (voir article "Voceru
sorrinesu") comprend une première partie intitulée "Une excursion", dans laquelle l'auteur décrit la visite qu'il fit en Corse pendant l'année
1845.
Vico y est décrit avec sympathie. Par contre, pour Guagno-les-Bains, les bâtiments sont qualifiés de
"mesquins, groupés sans symétrie et généralement incommodes". La cure est efficace mais il y a peu de distractions pour les baigneurs et, en partant, "on a connu l'ennui mais point
le regret". Décrivant la population locale, Monsieur FÉE écrit au sujet des femmes: "j'ai vu peu de jolies figures". Même s'il atténue la critique en ajoutant: "mais les traits
sont réguliers et les yeux ont de l'expression et de la vivacité", la critique est dure.
Heureusement, le jugement sur la gent féminine de chez nous n'a pas été le même dans tous les écrits de cette
époque.
En 1900, est paru "Soixante ans de la vie d'un prolétaire", écrit par X. EPAGEL
(pseudonyme de Constant LEPAGE), qui racontait sa
propre vie.
Né en 1825 au HAVRE, fils de riche industriel, il passa par de très nombreux métiers avant de finir professeur
de dessin. Ce qui nous intéresse est le moment où, engagé dans l'armée et en garnison à Belfort, il fut atteint de malaises. Le médecin l'envoya suivre une cure de six mois à Guagno-les-Bains où
il arriva en mai 1846, un an après A. L. A. FÉE. Cette prescription prouve la renommée nationale qu'avait alors la station thermale.
Il ne s'y ennuya pas car, à partir de l'hôpital militaire de St Antoine, il faisait une promenade quotidienne de
l'autre côté "d'une petite rivière, charmante dans ses allures pittoresques et traversée par un pont conduisant de l'autre côté à un monticule assez élevé aussi (aussi élevé que celui où
se trouvait l'hôpital militaire) et garni de sapins. Cet ensemble offrait une perspective de toute beauté. Il y avait un endroit d'où la vue était admirable". Ceux qui connaissent les
lieux pourront chercher à retrouver cette émotion.
Un jour, avec un zouave de ses amis, il arriva dans une petite ferme. Sa localisation n'est pas donnée mais elle
n'était pas très loin car l'auteur indique qu'il existait, à proximité du hameau, un "cordon de limite", c'est-à-dire un périmètre que les soldats n'avaient pas le droit de dépasser.
"Dans la ferme où nous sommes entrés, la mère et ses filles n'avaient pour tout vêtement qu'une
longue chemise de toile écrue, allant jusqu'aux pieds: l'aînée des filles avait bien dix-huit ans (...).
Ce petit peuple est hospitalier. On nous reçut très bien dans cette ferme (...). L'aînée des filles
était grande et belle et contrastait singulièrement avec son entourage, elle me faisait l'effet d'une perle perdue dans un fumier! Plus d'une fois, elle est revenue dans mes souvenirs lorsque,
jeune artiste, j'étais à la recherche d'un type accompli.
Aujourd'hui, vieux philosophe, elle m'apparaît encore comme le plus bel idéal que j'aie pu rêver.
Pure imagination! me direz-vous, puisque je ne l'ai pas vue dans le simple costume d'Eve? Peut-être! Laissez-moi à mes rêves!!!"
Mais les rêves ne résistèrent pas à la réalité la plus matérielle. Sa cure terminée, notre héros rembarqua pour
le continent. Il était chargé des provisions pour son groupe.
"Si la jolie fille de Guagno avait frappé mon imagination, un magnifique homard, que j'avais payé
trente-cinq centimes, avait touché ma sensualité; surtout quand je l'eus transformé, dans les réservoirs d'eau bouillante de la chaudière du bateau, en superbe cardinal de la mer!
"Voilà deux souvenirs de Corse que je n'oublierai jamais: Une belle fille inestimable et un
beau homard pour presque rien."
Heureusement que la jeune fille n'en sut jamais rien. Elle aurait eu le cœur brisé de se savoir préférer un
homard!
En tout cas, nous pensons comme Enrico MACIAS: "Ah! Qu'elles sont jolies, les filles de mon
pays".