Un des moments les moins connus de l'Histoire de la Corse est constitué par les premières années qui suivirent le traité de Versailles du 15 mai 1768 confiant au roi de France la souveraineté sur l'île.
Ce trou est maintenant comblé par la publication en octobre 2019 du livre de Jean-Pierre POLI "1768-1789. Vingt ans de résistance corse" (éditions Alain PIAZZOLA).
Après le traité entre Gênes et la France, il y eut un an de combat jusqu'à la défaite des troupes paolistes à Ponte Novu le 8 mai 1769. Mais on a passé sous silence les années suivantes pendant lesquelles plusieurs groupes entretinrent une guérilla qui gêna fortement les soldats de Louis XV et servit à justifier une très dure répression.
Le plus connu des résistants est CIRCINELLU, le curé de Guagno. Seulement, il ne fut pas le seul dans la pieve de Sorru in Sù. Le livre de J-P POLI permet d'apprendre qu'il y eut d'autres opposants à la domination française à Guagno, mais aussi à Poggiolo et à Orto.
Martino LECA était le neveu de Domenico LECA (CIRCINELLU). Il fut présent à Ponte Novo où il commandait les milices de Guagno avec son oncle.
Le 23 mai 1769, deux semaines après la défaite, Clemente PAOLI, le frère de Pascal, le "babbu di a patria", réunit à Vico, accompagné de Charles BONAPARTE (le père de Napoléon) et Gian Carlo SALICETI, les représentants de cette région. N'avait-elle pas été le dernier refuge de Giovan Paolo de Leca en 1489 et 1501 et d'Alphonse d'Ornano, le fils de Sampiero Corso, en 1569, dans leurs luttes contre les Génois?
Malgré le soutien de l'abbé Domenico LECA, il reçut une réponse négative à la poursuite d'une guerre considérée comme perdue. Clemente alla rejoindre Pascal à Porte-Vecchio pour partir en exil le 13 juin.
DÉPART POUR LE MAQUIS
LES ACTIONS DE MARTINO
L'ancien prêtre trouvant la mort en 1772, Martino LECA prit le commandement du groupe qui comptait une trentaine de combattants dont une vingtaine de Guagnais.
Dès l'été 1771, il avait été en contact avec Eusebio ACQUAVIVA, dit MARZU di Niolo, qui se fit connaître par des coups d'éclat spectaculaires, notamment en brûlant tout le bois de construction entreposé dans la forêt d'Aïtone et destiné aux chantiers navals de Toulon.
Le 21 février 1772, le comte de MARBEUF, commandant les troupes françaises, décida la mise à prix des principaux chefs de la rébellion: MARZU, Angelo Matteo BONELLI dit ZAMPAGLINU et Martino LECA. La récompense était fixée à 300 livres s'ils étaient abattus et 500 s'ils étaient ramenés vivants. Quelques semaines pus tard, MARZU fut tué dans une vendetta familiale.
Martino revint dans la zone de Vico où il agit de plus en plus brutalement à l'encontre de la population. François PAOLI, dans son livre sur "Letia et la région de Vico" (Stamperia Sammarcelli, 2011), donne des exemples de cette brutalité:
"On le voit ainsi à Soccia dévaliser avec sa bande ce village, à plusieurs reprises au cours de l'hiver 1772, en plein jour et au son de la corne marine. Dans les maisons où il n'y avait rien à leur donner, ils ont tout cassé, sous le regard effaré des habitants.
En 1772 toujours, cette même bande a attaqué et cerné, le dimanche matin à l'heure de la messe, le village d'Arbori. La "contribution" exigée est la même que celle que demandait PAOLI. (...) Ils promettaient de revenir sous peu, de brûler des maisons et de saisir des troupeaux, quand ce n'était pas de tuer hommes, femmes et enfants."
Ces excès exaspérèrent les habitants. François PAOLI rapporte que, toujours en 1772, Jean CLAVET, un déserteur appartenant à la bande de Martino, "est arrêté par les habitants de Soccia, selon Domenico de PAOLI, le podestat major de Renno, et remis aux autorités".
EXIL ET MORT EN ITALIE
L'étau de la répression se resserrait constamment.
Le 1er juin 1774, le général de brigade Jean Prosper de SIONVILLE, chargé par MARBEUF de la répression, mit en place un nouveau dispositif d'emplacement de ses troupes et chargea la compagnie de grenadiers du capitaine COLONNA de surveiller "la province de Vico et la piève de la Cinarca", le capitaine d'ARNAULT étant stationné à Vico même.
Fin août ou début septembre, le résistant Pietro CIPRIANI fut arrêté à Guagno par un groupe de villageois commandés par Pietro Maria COLONNA. Pietro CIPRIANI mourut en prison à Toulon en mai 1777.
En janvier 1775, deux autres "bandits" guagnais, Bartolomeo GUANONI, dit BUTONE, et Anton Matteo GIULIO, furent tués dans des accrochages avec des soldats du régiment de Nassau.
Le 25 février 1775, SIONVILLE procèda à une nouvelle répartition: d'ARNAULT était avec 50 hommes à Vico, Pietro Maria COLONNA à Guagno avec 20 volontaires armés par les Français, d'autres garnisons étant installées à Marignana, Evisa, Rosazia et Ota.
Les Français arrêtèrent et envoyèrent en prison à Toulon le 2 mai 1775 Anton Matteo LECA dont le seul tort était d'être l'oncle du "chef des bandits de Guagno".
Harcelé de tous côtés, Martino partit en juillet 1775 avec deux autres Guagnais se réfugier en Sardaigne où se trouvaient d'autres rebelles. Le gouvernement de Versailles ayant fait pression sur la Cour de Turin dont dépendait la Sardaigne, LECA et ZAMPAGLINU (Angelo Matteo BONELLI) embarquèrent le 19 janvier 1776 pour Livourne.
Ils allèrent à Pise et à Pistoia rencontrer Clemente PAOLI et les autres capitaines paulistes en exil. Mais le 26 juin, le grand-duc de Toscane ordonna leur arrestation. LECA et ZAMPAGLINU s'enfuirent vers la république de Lucques. Mais la police locale les pourchassa.
Finalement, en octobre 1777, les soldats lucquois finirent par les encercler à Lucchio. Dans l'affrontement, Martino fut tué tandis que ZAMPAGLINU, blessé, parvint à s'échapper. Il se réfugia en Toscane puis en Angleterre et termina sa vie en Corse où il rentra grâce à la révolution de 1789.
Comme l'écrit Jean-Pierre POLI, Martino LECA, "qui a été, aux côtés de son oncle Circinellu, un des premiers à rejoindre la lutte clandestine, n'a jamais dévié, à la tête de ses compagnons, de son combat pour la liberté de sa Patrie".
Il méritait bien d'être sorti de l'ombre.
(à suivre)
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