La description et l'histoire des bâtiments chrétiens, des cérémonies religieuses et des hommes d'Eglise occupent souvent une grande place dans le Blog des Poggiolais, ce qui a pu déplaire à certains lecteurs.
Il faut reconnaître la forte et ancienne imprégnation catholique qui se manifeste par les chapelles, les croix et les noms de lieux de notre canton. Et le principal, sinon, le seul foyer d'animation culturelle de cette micro-région est le couvent de Vico.
Toute la Corse est marquée par l'influence chrétienne, à tel point qu'il paraît normal à "A punta di l'ortu", association engagée dans la valorisation de A Festa di a Nazione, de demander le 7 avril que le 8 décembre devienne férié, alors que ce jour qui a été choisi en 1735 par la consulte d'Orezza, est également celui de l'Immaculée Conception.
Le très intelligent article de Jean-Philippe SCAPULA, publié dans "Corse-Matin" de mercredi 11 avril à la suite de la déclaration d'Emmanuel Macron au Collège des Bernardins, montre que, devant la particularité corse, le principe de laïcité s'applique dans l'île avec quelques accommodements.
L'article est suivi d'un très intéressant entretien avec le Père Jean-Yves COEROLI, vicaire général du diocèse d'Ajaccio.
En quelques mots, le tweet d'Emmanuel Macron a soulevé la polémique. Dans son discours de plus d'une heure, prononcé lundi devant la conférence des évêques de France, le président de la République a réveillé les plus farouches défenseurs du principe de laïcité.
En Corse, peu de voix se sont élevées pour dénoncer ce que certains considèrent comme une entorse à l'un des principes fondamentaux de la République. Si dans les textes, la séparation de l'Église et de l'État s'y applique sans discernement, dans les faits, l'immixtion du culte dans la politique - et inversement - semble être moins sujette à polémique.
"La laïcité, telle qu'elle est appliquée en Corse, est certainement plus souple, confirme Jean-Guy Talamoni. Il y a une explication historique à cela. Au moment où Pascal Paoli instaure ce principe, la Corse baigne dans l'environnement des Lumières italiennes, qui prônent aussi la séparation de l'ordre ecclésial et de l'ordre public, mais sans diffuser le sentiment d'anticléricalisme qui règne alors en France. Or, qu'on le veuille ou non, nous sommes le produit de cette histoire."
Le président de l'Assemblée de Corse s'est d'ailleurs rendu au Vatican, en mars 2017. Si le voyage diplomatique a provoqué quelques interrogations, c'est moins sur une éventuelle atteinte au principe de laïcité que sur l'intérêt politique d'un tel déplacement.
Jean-Guy Talamoni et le pape François.
Crèches en mairie et édile confrère
"Je voulais participer à un voyage au Vatican, ajoute Jean-Charles Orsucci. D'autant que je voue une grande admiration au pape François". Le maire de Bonifacio, membre de la confrérie Saint-Érasme, assume la foi qui l'anime tout en revendiquant la neutralité de son action publique.
Une forme d'indécision, presque de paradoxe, tiraille l'élu. "Au moment où je vous parle, trônent dans mon bureau le buste de Marianne et une photo de moi en confrère, confie-t-il. Je suis un militant de la cause laïque mais je me trouve face à mes propres contradictions sur le sujet. Si, au nom de la laïcité, on décidait d'interdire les processions pascales à Bonifacio, je m'y opposerais parce qu'on ne peut pas en nier la dimension culturelle".
Autre maire, autres moeurs. Mais toujours le même rapport décomplexé à la religion. En 2015, alors qu'il assiste à la messe de la Madonnuccia pour la première fois depuis son élection, Laurent Marcangeli décide de réhabiliter une tradition interrompue en 2002 par Simon Renucci : les voeux des Magnifiques Anciens.
"La ville d'Ajaccio possède une identité, rappelle-t-il. Elle se matérialise notamment par de nombreuses fêtes catholiques au calendrier ou monuments religieux dans notre espace public. L'élu local ne doit pas se couper de cette réalité. Mais il se doit d'établir un rapport apaisé avec tous les cultes".
À l'heure où le gouvernement préconisait de ne pas installer de crèche dans les lieux publics, au moment des fêtes de Noël, Laurent Marcangeli a maintenu cette tradition, perpétuée cette fois-ci par son prédécesseur de gauche.
Procession de saint Roch à Poggiolo (2017)
"Bucchini ne raterait pas le Catenacciu pour un empire"
S'il est un homme qui incarne cette porosité entre le monde politique et l'autorité cléricale, c'est Antoine Peretti. Le maire d'Ampaza a été ordonné prêtre en avril 2017. "En Corse, j'ai l'impression que nous savons faire la part des choses entre la laïcité et le laïcisme, confie-t-il. Il y existe un christianisme sociologique. Et le monde politique n'y est pas hermétique. Dominique Bucchini ne raterait pas le Catenacciu pour un empire".
S'il reconnaît l'impérieuse mission de neutralité des pouvoirs publics, Jean-Guy Talamoni se dit favorable à une plus grande souplesse dans l'exercice d'un mandat d'élu.
"On ne peut pas me suspecter de dévotion à l'égard d'Emmanuel Macron, précise le président de l'Assemblée de Corse. Mais dans son discours, je suis d'accord sur le fait que la laïcité n'a pas pour fonction de nier le spirituel".
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