Le célèbre Pascal PAOLI fut remplacé dans une circonstance très particulière par Gian Antonio PINELLI, ce qui montre l’importance que le Poggiolais avait pu atteindre.
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Nous avons commencé à publier la notice biographique rédigée par Eugène GHERARDI dans le Dictionnaire historique de la Corse.
D’après ce texte, publié ici sur fond jaune, le prêtre poggiolais avait jugé plus prudent d'aller habiter Florence à l'époque des troubles du royaume anglo-corse entre 1794 et 1796.
Gian Antonio PINELLI retourne en Corse en 1796
Mais Xavier PAOLI, l'historien poggiolais, avait trouvé, dans les registres paroissiaux de Poggiolo, le document suivant qui contredit cette date et montre que Gian Antonio fut mêlé à un acte important.
Il s’agit d’un acte de baptême établi le 30 septembre 1795. Le nouveau chrétien était un membre de la famille PINELLI, fils de Gioan Natale et de son épouse Maria LECA, auquel on donna les prénoms de «Carlo francesco Pasquale».
UN BAPTÊME POLITIQUE ?
Le dernier prénom est aussi celui du parrain que le document appelle «Sua Xccelonza il Signore Generale Pasquale de Paoli», formule écrite avec des lettres plus grosses que les autres et avec de grandes boucles.
Le doute n’est pas permis: ce personnage est bien Pascal PAOLI, u «Babbu di a Patria», le Père de la Patrie corse.
Le choix de ce parrain n’était pas innocent. Poggiolo et les villages voisins des Deux Sorru ont soutenu Pascal Paoli contre les Génois puis contre les troupes françaises.
Les parents PINELLI avaient voulu montrer leur attachement à celui qui avait permis l’indépendance de la Corse avant son rattachement au royaume de France en 1768. D’autres familles insulaires firent le même choix pour le baptême de leurs enfants. Jean-Laurent ARRIGHI a compté trois cas similaires chez des notables de Vico, entre 1756 et 1764, pendant la période de l’indépendance (Vico Sagone, Regards sur une terre et des hommes, ouvrage collectif, ed. Piazzola, 2016, pages 81 et 82).
En septembre 1795 le contexte était totalement différent. Depuis juin 1794, sous l’influence de Pascal PAOLI, la rupture avec la France révolutionnaire avait été votée par la Consulte de Corte et le royaume anglo-corse avait été institué.
Le baptême eut lieu en septembre à Poggiolo alors que d'importantes révoltes rurales s'étaient déclenchées dans le Vicolais en juin, par opposition à la politique fiscale mise en place par Charles André POZZO DI BORGO, président du Conseil d'Etat sous l'autorité du vice-roi britannique sir Gilbert ELLIOT. Les familles aisées soutenaient ce mouvement par crainte d'une révocation de la nationalisation des terres d'Eglise. L'agitation se répandit rapidement dans la partie occidentale de l'île.
D'après Antoine CASANOVA et Ange ROVERE (La Révolution française en Corse, Payot, 1989, page 258), "Paoli manifeste sa sympathie pour le mouvement populaire" mais s'inquiète de son ampleur, déclarant que "li popoli del delà da Monti sono peu furioso chez da questa parte".
Faudrait-il interpréter le baptême poggiolais, avec le choix du prénom, comme un acte éminemment politique? Serait-il une manifestation d'attachement au Père de la Patrie et de méfiance envers le gouvernement anglo-corse?
Carlo Francesco Pasquale PINELLI fut donc baptisé le 30 septembre 1795 alors qu'il était né le 11 janvier 1794. Il avait 1 an et 8 mois, âge assez habituel pour l'époque.
L'absence du parrain à la cérémonie n'a rien d'étonnant. Pascal PAOLI n'était pas non plus venu aux baptêmes vicolais mentionnés ci-dessus. Il avait été chaque fois remplacé par un mandataire.
Au moment de ce baptême, il n'était d'ailleurs pas libre de ses mouvements. Il se trouvait à Bastia, sous la surveillance constante des Anglais. Le 14 octobre, le vieux chef corse s'embarqua à Saint-Florent pour son exil en Angleterre où il finit sa vie en 1807.
Deux semaines plus tôt, son filleul avait reçu la "cérémonie battesemale al sacro fonte di questa parochia", c'est-à-dire sur les fonts baptismaux de l'église Saint-Siméon.
LE MANDATAIRE D'U BABBU
Le parrain étant absent, la procuration ("mandat di prépara") avait été attribuée "nella persona del Signor Dottor Giovantonio pinelli".
Il est facile de reconnaître sous ces mots Gian Antonio PINELLI. Il était le grand-oncle du jeune enfant baptisé car il était le frère de son grand-père Anton Francesco PINELLI. Il est ici qualifié de "Signor Dottor", car il était docteur en théologie et en droit.
D'après la notice d'Eugène GHERARDI parue dans le Dictionnaire historique de la Corse", Gian Antonio serait allé habiter Florence pendant la période du royaume anglo-corse. Mais nous avons ici la preuve qu'il était bien présent au baptême de son petit-neveu le 30 septembre 1795.
Etait-il en vacances? Etait-il venu spécialement pour représenter Pascal PAOLI à cette cérémonie? Ou était-il définitivement revenu en Corse?
Toujours est-il qu'il fut bien "procuratore" du Père de la Patrie. La "madrina", la marraine, était Angela Francesca PINELLI qui ne signa pas l'acte de baptême car "dichiara di non sapere scrivere".
Une dernière signature termine le document: celle du curé Giovanni BONIFACY qui s'opposa à l'administration française pour conserver le titre de "piévane" à l'église Saint Siméon. Il a été question de lui dans l'article "Les origines et l'organisation religieuse de la pieve".
Les années suivantes, Gian Antonio PINELLI eut un rôle de premier plan dans l'Eglise et dansl'administration de la Corse, ce que contera le prochain épisode.
(à suivre)