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7 août 2021 6 07 /08 /août /2021 18:00

 

Les marcheurs connaissent bien Camputile par lequel ils passent pour joindre les lacs de Crena et de Ninu.

 

Le plateau de Camputile a été présenté dans un article précédent pour avoir été le lieu d'un fait historique: une bataille entre Naziunali corses et Grecs pro-Génois en 1734 (voir l'article Les chaussures perdues des Grecs).

 

Il est également présent dans la Légende. Depuis de nombreuses générations, se transmet un récit se passant sur cet endroit proche du lac de Ninu et expliquant la particularité du Capo Tafunatu, montagne située à plusieurs kilomètres de Camputile.

 

Plateau de Campanile en juillet 1973 (photo Michel Franceschetti).

Plateau de Campanile en juillet 1973 (photo Michel Franceschetti).

 

 

Sur le site u-niolu.skyrock.com, est donnée l'explication suivante:

Le Tafunatu percé d'un énorme trou de 35 m de large et 10 de haut, véritable énigme géologique. Sa roche verte contraste avec les teintes orangées du levant et c'est un régal pour les yeux lorsque les nuages qui le traversent fond croire à la présence d'un volcan en activitéé.
Le trou aurait été fait, selon une légende, par la percussion du soc de la charrue du diable. En effet, Satan, pour faire opposition à St Martin, s'était forgé une charrue à toute épreuve et creusait avec des chaussées larges comme des vallées. St Martin reprocha alors au diable de ne pas savoir tracer un sillon droit. Humilié et énervé, le Diable jeta le soc vers la mer de toute ses forces et le soc rencontra l'échine du Tafunatu sur sa trajectoire. Les boeufs de la charrue furent eux pétrifiés sur place par St Martin et une fois de plus, le Bien triompha du Mal...

 

photo extraite du site https://www.camptocamp.org/

photo extraite du site https://www.camptocamp.org/

 

Il existe plusieurs versions de cette légende mais elles ne se passent pas toutes entièrement à Camputile; elles ont toutes comme protagonistes le Diable et Saint Martin, et le trou dans la montagne s'explique par le lancer d'un outil du Diable. Selon les cas, l'objet est une charrue ou un marteau.

 

L'œil du Diable (site Wild Corsica)

L'œil du Diable (site Wild Corsica)

 

 La version reproduite ici est extraite de l'article de Georges RAVIS-GIORDANI et intitulé "Organisation sociale et représentations fantasmatiques du travail et des conflits dans le cadre de la transhumance corse", paru dans "Mélanges de l'école française de Rome" en 1988.

 

 

Je voudrais pour cela comparer et analyser trois récits mythiques dont deux sont très connus dans l'île, et se présentent sous plusieurs versions. Je les résume rapidement : le premier est une légende qui vise à rendre compte d'une curiosité naturelle, une montagne trouée de part en part par un tunnel de 100 à 150 m de diamètre, u Capu Tafunatu; elle met en scène saint Martin et le Diable. Dans la version la plus longue que je connaisse, celle que Chanal a recueilli dans son voyage en Corse, en 1889, elle se subdivise en 4 temps : 

 

1er temps : le Diable est berger salarié chez saint Martin, éleveur niolin; il passe contrat avec lui, et d'après les termes du contrat, «per mezzu», il convainc saint Martin de partager le troupeau en mettant d'un côté les bêtes cornues qui iront à saint Martin, et de l'autre les bêtes non cornues («motine») qui iront au Diable. Or la plupart des bêtes étaient «motine»; quand saint Martin s'en aperçoit il est trop tard, il a déjà consenti aux termes du contrat. Mais dans la nuit Dieu fait pousser des cornes à presque toutes les bêtes du troupeau et le Diable ne reçoit qu'une paire de bœufs.

 

2e temps : le Diable, pour se venger de saint Martin, se fait laboureur, sur les hauteurs du Camputile, près du lac de Ninu, qui passe pour être l'ancienne cheminée de la forge du Diable, et il tente les Niolins en leur faisant miroiter les bienfaits du pain de froment. Il essaie de les détourner de la consommation de la pulenta de farine de châtaignes, mais saint Martin pétrifie ses bœufs, et ruine aussi le projet du Diable. 

 

3e temps : le Diable tente alors de séduire les Niolins en leur proposant de rompre leur isolement hivernal ; pour cela il leur propose de remplacer la mauvaise passerelle qui permettait l'hiver de franchir le Golo par un solide pont. Saint Martin réussit à persuader les Niolins d'exiger que ce pont soit construit en une nuit. Le Diable y parvient presque, mais le coq, réveillé par saint Martin chante avant que le pont ne soit terminé et les Niolins gardent le pont, sans perdre leur âme. 

 

4e temps : de rage le Diable remonte au lac de Ninu et, avant de s'y précipiter, jette son marteau à travers les airs ; celui-ci traverse la montagne dite depuis Capu Tufunatu et va s'enfoncer dans la «plage» de Galeria, où il servira pendant de nombreux siècles de bitte d'amarrage pour les navires barbaresques qui viendront ravager les côtes. Après la défaite des Sarrasins, le sable a recouvert le marteau, et le maquis a repoussé par dessus. 

 

 

Le Diable et St Martin (couverture de "Contes et légendes de Corse", édition 1953)

Le Diable et St Martin (couverture de "Contes et légendes de Corse", édition 1953)

Georges RAVIS-GIORDANI termine son article par l'analyse suivante:

"La victoire du saint Berger sur le Diable laboureur aboutit à l'ouverture symbolique de la route de transhumance (qui passe au pied du Capu Tafunatu); cette victoire s'inscrit bien entendu sur le fond de la lutte plus générale du Bien contre le Mal, des chrétiens contre les infidèles. La transhumance y apparaît comme un enjeu dérivé puisque les enjeux principaux sont tour à tour l'acquisition de la maîtrise du feu, de l'agriculture et des communications avec l'extérieur. D'autre part, cette victoire n'est pas sans contrepartie puisqu'elle expose les bergers transhumant aux incursions barbaresques."

Avec deux autres légendes citées dans cette étude, "ces trois récits mythiques nous disent, me semble-t-il, une même chose: la transhumance n'est pas une pratique naturelle, mais c'est néanmoins une exigence culturelle que seul un exploit miraculeux ou héroïque permet d'accomplir. En même temps, elle apparaît liée au renversement des valeurs, à la victoire des plus faibles, la femme, le berger, le paysan humilié comme si elle était - et je crois qu'elle l'est - dans le système pastoral du moment, ou un des moments, où les rapports des hommes entre eux et des hommes avec la nature pouvaient s'inverser."

 

Les 17 pages de l'article complet peuvent être consultées à l'adresse:  https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1988_num_100_2_2989

 

Troupeau en transhumance à Guagno-les-Bains dans les années 1960 (photo Maryse Moretti)

Troupeau en transhumance à Guagno-les-Bains dans les années 1960 (photo Maryse Moretti)

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