L'article précédent reproduisant une lettre d'un soldat originaire de Soccia en 1918 est un très bon exemple de l'abondante correspondance qui circula pendant la première guerre mondiale.
Pendant les longs mois de guerre, chacun, soldats comme parents, comptait surtout sur le courrier pour avoir des nouvelles et de l’espoir.
Comme l’a écrit Jean-Paul Pellegrinetti dans sa communication «Identité et Grande Guerre. Les combattants corses durant la Première Guerre mondiale» (texte complet ICI), la nouveauté de la Grande Guerre tient «à la très grande production d’écrits que le conflit a suscité par l’intermédiaire de correspondances ou la tenue de carnets personnels. Ces divers «supports à l’écrit», sous formes de lettres, de cartes postales, de cartes militaires ou encore de cartes-photos, autorisent une histoire « par le bas » des combattants. Témoignages précieux d’hommes ordinaires ballottés par le flux et reflux des événements, l’analyse de la correspondance des poilus donne à lire dans l’univers mental de ces hommes partis au front et aide à comprendre leurs systèmes de pensées, leurs sentiments, leurs représentations, leurs processus de confrontation à l’Autre et leurs comportements par rapport à la guerre.
Dans certaines familles, il reste encore des lettres de cette époque. Nous n’avons pu étudier que les séries qui furent écrites par deux des trente morts glorieux:
- la correspondance de Jean Ary Lovichi (1893-1915), aspirant tué aux Dardanelles le 14 juillet 1915, qui a été publiée par son neveu Pierre Durand dans une brochure intitulée «L’oncle Jean»,
- les lettres de Jean Toussaint Demartini (1889-1916) conservées par la famille Prince. Caporal puis sergent-fourrier, Jean Toussaint combattit en Afrique occidentale jusqu’en avril 1915 et mourut en France, pendant la bataille de la Somme, le 9 février 1916. La partie de ses lettres écrites en métropole a été utilisée en 2007 pour un devoir réalisé en collège par une amie de son arrière-arrière-petite-nièce Mathilde.
En croisant ces deux séries, on peut dégager plusieurs thèmes importants. L’échantillon n’est pas vraiment représentatif car ces deux soldats étaient plus instruits que la moyenne des Poggiolais mais on retrouve les centres d’intérêt relevés par Jean-Paul Pellegrinetti dans son étude.
Un impérieux besoin de nouvelles
Les soldats avaient un impérieux besoin d’écrire et de lire :
« Mes chers parents, Ecrivez-moi souvent et longuement » (J T Demartini, 11 novembre 1915)
« Nous souffrons seulement du manque de nouvelles. Envoyez-moi, si vous pouvez, des journaux (…) Ecrivez-moi le plus possible » (J Lovichi, sans date).
Ils avaient besoin de ce lien avec leur famille : « il n’y a pas à la guerre un homme qui ne pense et ne parle toujours à Papa et Maman. Vous comprenez cela. Nous sommes des enfants » (souligné dans le document) (J Lovichi, 7 juin 1915).
Encore fallait-il avoir le matériel pour écrire : « Je vais vous faire encore une demande de plume et d’encre. J’aime peu le crayon. » (J Lovichi, 30 juin 1915).
Pour les messages courts, il existait des cartes «Correspondance des Armées de la République» qui bénéficiaient de la franchise postale.
Le dernier message de Demartini fut écrit sur ce rectangle de carton le 4 février 1916, cinq jours avant sa mort.
De son côté, en 1914, après la capitulation allemande au Togo, Jean Toussaint Demartini eut des feuilles en abondance car il utilisa le papier à lettres de la plantation de palmiers Schleinitz et de la station de radiotélégraphie de Kamina.
La correspondance servait à réclamer de quoi améliorer le quotidien. Jean Lovichi demanda «un alcool sous une forme quelconque indispensable ici, ampoules de teinture d’iode, papier cigarettes auto-inflammables, comprimés pour désinfecter l’eau un peu cadavérique» (31 mai 1915).
Le sous-lieutenant, licencié en philosophie et pétri de culture gréco-latine, avait également des désirs intellectuels et demanda le 30 juin 1915 : « quelques livres (L’Iliade, l’Odyssée et Montaigne) pour les après-midi de tranchée. Montaigne a de bonnes réflexions sur les choses du combat, je pourrai en goûter la saveur ».
Par contre, l’argent n’était pas un grand souci :
« Je touche 4 francs par jour qui sont tous économisés. Aussi, ne m’envoyez plus un sou » (souligné dans le document) (J Lovichi, 2 juin 1915)
« Avec son argent, on ne peut rien acheter » écrivit le sergent Demartini le 19 janvier 1916.
Ces Poggiolais éloignés de la Corse ne manquaient de signaler la présence de concitoyens: « un de ces jours j’irai à Atakpamé où se trouve Hyacinthe Desanti le fils à Pierre François » (J T Demartini, octobre 1914). Jean Hyacinthe Desanti (1889-1944) termina sa carrière dans l’administration coloniale comme gouverneur du Dahomey puis du Soudan français (Mali actuel).
Ils n’oubliaient même pas leurs querelles villageoises, comme Jean Toussaint Demartini qui avait été condamné pour vote irrégulier dans une élection municipale à Poggiolo et qui, dans une lettre du 1eroctobre 1915, conseilla à ses parents l’attitude à adopter envers les membres du parti adverse :
"Je ne saurai assez vous le répéter, montrez-vous très satisfait de leur façon d'agir, et puis plus tard lorsque nous aurons l'occasion de pouvoir nous venger, nous le ferons, mais pour bien réussir, il faut faire semblant d'être très bien avec eux et pour mon compte personnel, je vous promets que je suis décidé à me venger" (ponctuation respectée).
(à suivre)
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