Le décès de Carlo a été un grand choc dans l'ensemble des villages de Sorru in sù. Pascale Chauveau a su exprimer avec délicatesse l'importance que ce sympathique personnage a pu avoir.
Au centre du village, au rez-de-chaussée d’une belle maison en pierre, l’enseigne indique Bar chez Louis. Pourtant, pour tous, c’est Chez Carlo. Mercredi soir, c’est là que ses amis ont choisi de le veiller. Comme aux plus beaux jours de l’été, le bar et la terrasse sont pleins.
D’abord silencieuse et recueillie, l’assistance finit par s’animer, et chacun se remémore et raconte. Carlo le bon vivant épicurien, qui avait gardé de sa formation à la prestigieuse école Ferrandi l’amour de la bonne cuisine. Carlo l’amateur de chanson française, qui laissait à disposition une guitare pour les longues soirées passées à chanter. Et qui, en cabotinant un peu, interprétait volontiers sa chanson fétiche, Comme un p’tit coquelicot, de Mouloudji. Et aussi Carlo le bricoleur minutieux et aux mains d’or : l’immense comptoir en bois et les étagères du bar, qu’il avait mis des semaines à fabriquer, sont un témoignage de son savoir-faire.
Carlo homme au grand cœur, qui donnait tout pour ses amis, mais connu aussi pour ses coups de gueule et son mauvais caractère. Les jeunes se souviennent : "Enfants, quand on demandait un verre d’eau, il nous envoyait à la fontaine ! Quand on commandait un panini et qu’il n’avait pas envie de le faire, il nous disait d’aller demander à manger à nos mères !" Depuis, ils ne rataient aucune soirée, et ce mercredi ils étaient tous là pour le dernier hommage.
Chez Carlo, on démarrait la soirée avant d’aller au bal, ou on la finissait après un concours de boules ou de foot. Ouvert 365 jours sur 365, comme il se plaisait à le souligner, son bar était un lieu de vie essentiel pour le village, surtout pendant les longs mois d’hiver où l’on se retrouvait pour la belote.
"C’est ici que mon mari m’a demandée en mariage", se souvient Marie-Rose. "C’est ici que ma femme avait réuni une centaine d’amis pour fêter mes 50 ans", raconte Jean-Tou. Chez Carlo et avec lui, tous ont vécu un événement important de leur vie, des rendez-vous incontournables : l’apéritif du 11 novembre où tous les villageois amenaient à manger, la soirée karaoké ou la soirée Beaujolais, l'apéritif géant du 15 août, et ces fameux repas pantagruéliques entre amis, autour des huîtres ou après avoir charcuté.
Avec Carlo, on commentait l’actualité, on refaisait le monde, et on se disputait aussi beaucoup. Mais on y revenait toujours. Parce que "Carlo, c’était Carlo !"
P.C.
(extrait de "Corse-Matin" de mardi 18 septembre)