La France se targue d'avoir un état-civil très bien organisé depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, et surtout depuis le décret de l'Assemblée nationale du 20 septembre 1792 qui remettait la tenue des registres de naissance, mariage et décès aux maires. Leur étude est fondamentale pour la généalogie, les statistiques et l'histoire des familles et des communes. Ce travail peut paraître aride mais il permet de faire des découvertes curieuses, amusantes, bizarres ou tragiques. Trois exemples concernant des déclarations de naissance dans des familles poggiolaises ont ainsi été sélectionnées.
Le premier exemple contredit justement le sérieux de notre état-civil. La victime en fut Antoine François FRANCESCHETTI, le militaire le plus gradé et le plus décoré des victimes poggiolaises de la première guerre mondiale.
Engagé au 139ème régiment de ligne à Ajaccio le 3 février 1877, Antoine François (que certains documents prénomment François Antoine, signe d'un certain flottement administratif) fit une carrière militaire active jusqu'en 1892.
Il accomplit plusieurs campagnes, notamment pour réprimer des mouvements insurrectionnels en Algérie en 1881 et 1882. Il y gagna la médaille militaire en 1890 et la médaille coloniale.
Comme il en était à l'époque, son temps d'engagement terminé, il entra ensuite dans l'armée territoriale, en tant que sous-lieutenant de l'infanterie territoriale. Il parvint au grade de lieutenant en 1899 et fut libéré de ses obligations en 1902. Il n'en continua pas moins de suivre les cours des écoles d'instruction militaire et de se dévouer à elles, ce qui fut reconnu par plusieurs citations dans le "Journal Officiel".
Le titre de chevalier de la Légion d'Honneur lui fut finalement attribué en janvier 1914.
La guerre provoqua son rappel sous les drapeaux le 2 août 1914 comme capitaine au 109ème régiment d'infanterie territoriale.
Le capitaine Antoine François FRANCESCHETTI décéda de "maladie aggravée" le 5 février 1917 en son domicile lyonnais, 34 rue des Chevaucheurs, dans le cinquième arrondissement, où il s'était installé en 1892. Il fut considéré comme mort pour la France.
Ainsi s'acheva une vie vouée à l'armée et bien récompensée.
Mais où est le problème d'état-civil?
Le site Mémoire des hommes, qui publie les fiches des soldats français tués pendant la première guerre mondiale, lui donne 1875 comme date de naissance, ce qui est une erreur de transcription manifeste, d'autant plus que la même fiche indique qu'il était de la classe 1877, c'est-à-dire qu'il était né en 1857.
Sa date de naissance est le 10 janvier 1857 à Poggiolo. C'est du moins la date qui lui fut finalement accordée par la justice. En effet, pour cette année-là, une décision judiciaire est insérée dans le registre des naissances poggiolais.
Le tribunal civil de première instance d'Ajaccio étudia le 18 janvier 1877 une plainte de Jeanne MARTINI, veuve de Jean François FRANCESCHETTI, "tendant à la constation de l'acte de naissance de son fils mineur Franceschetti Antoine François, lequel n'a pas été transcrit sur les registres des actes de l'Etat-Civil de la commune de Poggiolo où il est né".
La naissance n'ayant pas été retranscrite, le jeune homme n'existait pas pour l'administration et, au moment du service militaire, à l'âge de vingt ans, il ne pouvait porter l'uniforme. C'est certainement ce qui a dû motiver l'action judiciaire de sa mère. Il était encore considéré comme mineur (la majorité était alors à 21 ans) et son père, François FRANCESCHETTI, était décédé en 1861.
Pour quelle raison, l'acte de naissance n'avait-il pas été rédigé? Le maire de l'époque avait-il été négligent? En tout cas, en 1857, le maire de Poggiolo était Antoine François FRANCESCHETTI, un cousin de son père. Il est vrai que, à l'époque, la déclaration n'avait pas de conséquences pour les allocations familiales ou pour l'impôt sur le revenu qui n'existaient pas. Le jugement ne donne aucune information sur l'origine de cette absence.
En tout cas, le tribunal...
... "déclare dire Franceschetti Antoine, François, fils légitime de feu François et de Jeanne née Martini est né en la commune de Poggiolo le 6 janvier mil huit cent cinquante-sept; dit que le jugement tiendra lieu au dit Franceschetti d'acte de naissance et qu'il sera transcrit aux registres des actes de l'état-civil de Poggiolo".
Les trois juges ayant tranché le 18 janvier 1877, le Poggiolais put s'engager dans l'armée le 3 février. Il s'en était fallu de peu que sa vie ne prit un tout autre tournant.
Pour un peu, Poggiolo aurait eu un titulaire de la Légion d'Honneur de moins (et un nom de moins sur son monument aux morts).
Une précision: Antoine François était l'arrière-petit-fils de Francesco FRANCESCHETTI (1743-1818) dont le frère Anton Francesco (1730-1818) est l'ancêtre direct des FRANCESCHETTI habitant ou possédant actuellement des maisons à Poggiolo.
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Jessica 22/09/2015 12:51