La nuit de Noël n'est pas seulement celle de la venue de Jésus sur Terre ou de la tournée du Père Noël. En Corse, elle est également le moment où certaines traditions peuvent être transmises.
"L'almanach de la mémoire et des coutumes" de Claire TIEVANT et Lucie DESIDERI (Albin Michel, 1986), auquel ce blog a plusieurs fois fait des emprunts, l'explique fort bien.
C'est dans la nuit du 24 au 25 décembre que peuvent se transmettre les formules d'incantation (incantesimi) dont les signatori font usage pour lever les sorts et conjurer le mauvais œil. Révélées au profane en toute autre occasion, ces formules perdent toute efficacité, et entraînent parfois la mort, dit-on, de celui qui les a divulguées de la sorte.
Selon les régions, cette initiation la nuit de Noël doit se faire dans certaines conditions précises; il faut parfois qu'il y ait grand vent ou orage pour que la formule puisse être transmise. D'après un autre témoignage; « les jeunes gens ont l'habitude de courir de maison en maison de manière à faire sept veillées avant la messe de minuit afin d'être jugés dignes d'apprendre, de vieilles femmes, certains signes superstitieux qui leur permettent, le cas échéant, de rendre impuissantes et inoffensives les piqûres de scorpions et autres animaux nuisibles. Ces signes ne peuvent valablement se communiquer que la nuit de Noël el seulement à ceux qui ont fait les sept veillées » ("La nuit de Noël dans tous les pays" par Mgr CHABOT, 1912).
La transmission permet de découvrir le mauvais œil dans l'eau et l'huile de l'assiette. Photo du blog des Amitiés corses de Lyon http://upaese.net/blog
La transmission est un moment unique où l’on n'entre pas dans un autre monde mais où l'on trouve sa place dans une grande chaîne qui relie les générations corses, et surtout les femmes, depuis longtemps.
Cet acte est rappelé dans le dernier numéro de "La Corse-Votre hebdo" (19 décembre 2014) par Véronique EMMANUELLI dans un grand article très documenté intitulé "Une nuit pour apprendre" dont voici la première partie.
À travers l'île, à minuit tapante, les Signadore - celles qui signent - seront aussi contraintes à l'action nocturne. En qualité de passeuses de relais, parce qu'elles sont liées par un pacte indissoluble avec un monde mystérieux. Leur mission est alors d'apprendre quelques gestes aux générations futures, de transmettre dans un murmure une prière en langue corse et au-delà une culture. Elles seront gagnées par la hâte. Et pour cause. La nuit de Noël sera la seule occasion dans l'année de créer de la continuité et de faire en sorte qu'une mémoire étrange perdure.
Durant quelques précieuses minutes, dans le huis clos de la maison, l'apprentie Signadora sera à l'écoute du souffle court et inquiet de celle qui enseigne. Peu à peu, à mesure que l'assiette, la bougie et la lumera - la veilleuse avec son huile - trouvent leur place sur la table, elle verra se dessiner quelques enjeux. Une fois que l'échange sera terminé, qu'elle sera en pleine possession de ses moyens, elle pourra se prévaloir de savoir prélever l'huile de l'index, de pouvoir interpréter la fusion des gouttelettes avec l'eau.
Au final, des désastres seront évités et le monde autour d'elle ira un peu mieux.
Cette année, dans nos villages, qui va être initié à ces connaissances?